Bicentenaire – Le rêve américain de Napoléon Bonaparte !

En 1815, l’empereur déchu a tout perdu. Il songe alors à s’installer sur le territoire neuf des États-Unis. Une chimère que réussira son frère Joseph.

Juin 1815, l’accablement suinte partout dans un palais de l’Élysée déserté. Napoléon a abdiqué après la raclée de Waterloo, les ennemis sont aux portes de Paris, le traître Fouché tient la capitale, seuls quelques vieux grenadiers montent encore la garde, on parle de livrer l’ogre une bonne fois pour toutes aux coalisés, il faut fuir, et vite. Oui, mais où ?

Les conseillers sont divisés, on brûle les archives, on récupère la correspondance quand, tout à coup, la reine Hortense s’annonce, elle secoue son beau-père : on peut rejoindre les ports, il faut prendre un navire… Ou bien se rendre en Autriche, Napoléon n’est-il pas le gendre de l’empereur, mari de sa fille Marie-Louise. Ou encore la Russie, son loyal adversaire. Et puis il y a aussi l’Amérique, ce territoire neuf et vierge, où tout reste possible…!

Pour l’heure, l’empereur déchu se replie au château de Malmaison, plus sûr que Paris. Et l’idée de l’Amérique fait rapidement son chemin. Un pays suffisamment loin pour se faire oublier et dont les dirigeants ont un certain respect pour Napoléon. Il leur a vendu la Louisiane, la clef du Mississippi, tandis que les jeunes États s’engageaient contre l’Angleterre dans la deuxième guerre d’indépendance. Pas de risque d’être trahi, la possibilité de recommencer à zéro. « L’Amérique était notre véritable asile, confiera-t-il plus tard à Las Cases.

C’est un immense continent, d’une liberté toute particulière. Si vous avez de la mélancolie, vous pouvez monter en voiture et courir mille lieues et jouir constamment du plaisir d’un simple voyageur. » Il fait des projets, envisage d’acquérir du terrain et « deux maisons de huit pièces », l’une à la ville, l’autre à la campagne.

On entasse la vaisselle dans les malles

En attendant, il lui faut de l’argent pour s’installer durablement. Il convoque le banquier Laffitte qui accourt à Malmaison. « Pouvez-vous me procurer un vaisseau pour me sauver en Amérique ? » lui demande l’empereur.  « Oui, Sir, je vous le procurerai, dût-il m’en coûter la vie ! » Napoléon lui remet 800 000 francs et lui promet 3 millions en or par fourgon sous peu, les derniers restes de sa fortune. Il garde environ 300 000 francs sur lui pour assurer les premiers achats une fois arrivé sur place et charge le comte Bertrand, grand maréchal du palais, de préparer les malles et les valises avec l’aide du premier valet de chambre Marchand. On emporte un service de Sèvres, l’argenterie des Tuileries et de l’Élysée, des draps de premier choix, des tableaux de famille, les cartes et les livres décrivant le Nouveau Continent, les fusils, les sabres, les uniformes et des vêtements civils…

Le projet semble le ranimer d’un coup. Il rêve de voyages, d’explorations, de s’adonner à ses premières passions scientifiques, comme il le confie à Gaspard Monge. « Sans armée et sans empire, je ne vois que les sciences qui puissent s’imposer fortement à mon âme… Je veux faire une nouvelle carrière, laisser des travaux, des découvertes dignes de moi. Il me faut un compagnon qui me mette d’abord et rapidement au courant de l’état actuel des sciences. Ensuite, nous parcourrons ensemble le Nouveau Continent depuis le Canada jusqu’au cap Horn, et dans cet immense voyage, nous étudierons tous les grands phénomènes de la physique du globe ! »

Les Anglais ont vent du départ

Encore faut-il traverser l’Atlantique. Il s’ouvre de son projet à Fouché, qui, trop heureux de le voir décamper, lui fournit deux frégates du port de Rochefort et lui promet des sauf-conduits – qui n’arriveront jamais. Grave erreur ! L’escadre de Rochefort est bloquée par la flotte britannique, comment va-t-il passer ? On verra bien sur place, fouette, cocher ! L’empereur et sa suite arrivent début juillet sur place pour constater qu’ils sont pris au piège. En attendant les fameux sauf-conduits, on presse l’empereur de quitter la rade d’Aix en catimini, ou bien de partir de Royan à bord d’une corvette… Napoléon hésite. Trop tard, les Anglais ont vent du projet d’évasion, ils renforcent le blocus, l’occasion est manquée. Le 15 juillet 1815, plutôt que partir en catimini sur une coquille de noix, l’empereur décide de se rendre à son pire ennemi, le roi d’Angleterre, qui l’enverra à Sainte-Hélène.

Il regrettera longtemps cette aventure manquée, comme il le confiera plus tard en exil sur son rocher perdu au docteur O’Meara. « Si j’étais allé en Amérique, explique-t-il au chirurgien, j’aurais fait de l’agriculture, j’aurais soigné mon jardin, j’aurais accueilli quelques vieux débris de mon armée qui seraient venus m’y retrouver et nous eussions vécu ensemble. Ça vous fait rire, docteur ! Mes goûts sont simples, j’ai besoin de peu ; j’ai toujours envié le sort d’un bon bourgeois de Paris, riche de 12 000 livres de rente, pouvant cultiver les arts et les lettres ; j’y ajoute le bonheur intérieur de famille, sans lequel il n’est point de bonheur possible, dans quelque classe qu’on se trouve… »

Un Bonaparte dans le New Jersey

Ironie de l’histoire, cette existence paisible sur le sol américain sera finalement réservée à son frère aîné Joseph, ainsi qu’à d’autres généraux ou exilés, qui parviendront à refaire leur vie comme planteurs ou ingénieurs. Joseph Bonaparte, ancien roi de Naples et d’Espagne, rejoint tranquillement les États-Unis à bord d’un brick américain et achète un splendide domaine près de Philadelphie avec ses fonds personnels. Celui qui se fait appeler désormais M. le comte de Survilliers prend une maîtresse américaine et vit une existence dorée, entre meubles précieux et tableaux de maître, s’intégrant parfaitement à la haute bourgeoisie du New Jersey…, avant de revenir en Europe en 1832.

Napoléon aurait-il pu suivre la même voie ? De caractère différent, on l’imagine mal regarder pousser ses fleurs sans son jardin. Toute sa vie n’a été qu’aventure, défis et rebondissements : il aurait pu participer au défrichement du Grand Ouest américain, entrer en politique, ou se tailler un empire au Mexique ou en Amérique du Sud, au lieu de croupir comme un fauve en cage dans une île austère au milieu de l’Atlantique. Qui sait quel chapitre il aurait pu encore ajouter à son extraordinaire destin ?

Pour en savoir plus : l’exposition Cap sur l’Amérique, la dernière utopie de Napoléon, Musée du château de Malmaison, jusqu’au 20 juillet 2015.
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