Dossier – Face au coronavirus, l’extrême vulnérabilité des hôpitaux mexicains !

Le gouvernement mexicain, d’après les déclarations récentes du sous-secrétaire à la Santé Hugo Lopez-Gatell, s’attend au pire pour le mois de juin, lorsque l’épidémie atteindra son pic selon les estimations officielles. Le « pire » restant, selon les calculs appliqués actuellement, beaucoup plus raisonnable qu’un scénario à l’italienne ou à l’étasunienne.

Le gouvernement lui-même le reconnaît : les hôpitaux publics mexicains étaient un désastre avant même que le pays ne soit confronté à la pandémie mondiale de COVID-19.

En effet, le gouvernement n’a pas démenti les informations publiées par El Universal, selon lesquelles « le scénario du pire » présenté au président Andrés Manuel Lopez Obrador (AMLO) le 19 mars en conseil des ministres s’apparentait à un total de « deux mille morts maximum » au Mexique pour cause de COVID-19.

Ce scénario du « pire », qu’on croirait adossé à une réalité parallèle, prévoit en outre un total deux cents mille infectés, dont une dizaine de milliers devraient être hospitalisés. Une estimation qui ne prend en compte ni l’ampleur réelle de l’épidémie, ni encore moins l’avalanche de morts évitables qui promet de s’abattre sur les hôpitaux du pays.

Deux mille par jour aux Etats-Unis contre deux mille morts au total au Mexique?

Deux mille morts, aux Etats-Unis, c’est le bilan humain quotidien du COVID-19. De l’autre côté du Rio Grande, on n’exclut plus un total de plus d’un million de morts. Que dire donc des estimations du gouvernement mexicain?

Ces dernières, manifestement, reposent sur l’hypothèse qu’une partie de la population mexicaine restera protégée du COVID-19. Au-delà des élucubrations d’AMLO sur la « résistance » de la « race mexicaine » ou sur la jeunesse de sa population, il existe une donnée brute – la vaccination massive des Mexicains contre la tuberculose – qui pourrait effectivement faire un différence. Une différence hypothétique qui, au vu de l’état des hôpitaux mexicains, ne sauvera certainement pas le pays d’un désastre humanitaire et sanitaire.

En définitive, seule une mobilisation massive des hôpitaux militaires et privés – que le gouvernement s’efforce toujours d’obtenir* – permettra de faire face à l’augmentation exponentielle des hospitalisations, même dans l’hypothèse plus que contestée où leur nombre ne dépasserait pas le « pic » annoncé de dix mille patients en soins intensifs. C’est notamment ce que montre une interview de la docteure Magdalena Madero Roval, de l’Université de Monterrey, sur W Radio.

Selon elle, en effet, « un nombre d’infectés entre deux cents cinquante et cinq cent mille avec un taux d’hospitalisation de 3% » serait suffisant pour « surpasser les capacités » des hôpitaux publics du pays. Et ce alors même qu’un taux d’hospitalisation aussi bas, étant donnée la proportion inouïe de la population souffrant de diabète, d’obésité et/ou d’hypertension, est plus qu’improbable.

La première ressource qui va s’épuiser dans les hôpitaux, selon l’experte, sont les respirateurs.

Il y en aurait entre huit et dix mille dans les différents hôpitaux publics et cliniques populaires du pays, d’après les dernières données fournies par le gouvernement. Ce chiffre, cependant, ne fait pas la différence entre les respirateurs actuellement loués par les hôpitaux de ceux qui resteront effectivement disponibles tout au long de l’épidémie. Il ne prend pas non plus en compte un nombre potentiellement élevé de respirateurs hors service.

« En matière de respirateurs, il faudrait tripler, en moins de trois semaines, les capacités aussi bien dans le secteur public que dans le privé », résume Mme Madero Roval. Une véritable course contre la montre que le gouvernement espère gagner en commandant massivement du matériel chinois, à l’image de la livraison de matériel médical effectuée le 7 avril dernier à Mexico, dans un avion charter en provenance de Shangaï.

Manque de personnel

Mais le défi qu’impose le coronavirus au Mexique ne se mesure pas uniquement au prisme des capacités matérielles de l’infrastructure hospitalière. Il manque aussi et surtout une ressource que les usines chinoises ne peuvent pas produire à marche forcée puis livrer en catimini dans des avions cargos : la ressource humaine.

Plus de la moitié de la population, en l’absence d’une couverture sociale, dépend pour se soigner d’un système de cliniques populaires qu’AMLO a décidé de remanier de A à Z juste avant la crise, encore une fois sous le coup de ses pulsions de nettoyage du système jugé pourri de ses prédécesseurs.

Dans la transition du Seguro Popular (l’ancien système de dispensaires) à l’Institut pour la santé et le bien-être (INSABI), le gouvernement a fait le pari d’un profond renouvellement de la force de travail qu’il n’a pas eu le temps de mener à bien.

Aujourd’hui, l’INSABI ne peut compter que sur 1200 chefs urgentistes, 400 épidémiologistes et 200 pneumologues, d’après une interview de la docteure Mayra Mejía, de l’Institut national des maladies respiratoires (INER), pour La Silla Rota. Dans l’ensemble de l’infrastructure hospitalière publique, il manque, selon les déclarations du gouvernement, plus de 200 000 médecins dont 76 000 spécialistes.

Ainsi, même si le nombre de malades se trouve effectivement être plus réduit sous ces latitudes tropicales, le Mexique reste fortement pénalisé par les inégalités structurelles de couverture sociale qui règnent dans le pays, de même que par une pénurie de main d’oeuvre particulièrement marquée en ce qui concerne les médecins spécialistes.

C’est ce que rappelle notamment un rapport de Mariana Campos et Xhail Balam, deux chercheurs du think-tank Mexico Evalua. Le 30 mars dernier, dans un résumé de leur étude publié sur Nexos, ces derniers annonçaient qu' »en analysant le nombre de médecins disponibles qui possèdent les compétences spécifiques requises pour soigner les patients gravement atteints de COVID-19 (pneumologues, anesthésistes, chefs de soins intensifs…), nous avons découvert que leur nombre rapporté à mille habitants est proche de zéro ».

« Ce n’est pas le nombre de diplômés des facultés de médecine qui fait défaut, mais la proportion de ceux qui ont le loisir et le désir de se consacrer à une spécialité », ajoutent les auteurs du rapport. En ce qui concerne les médecins généraux, la main d’oeuvre existe bien qu’elle ait délaissé le secteur hospitalier ces dernières années devant la réduction des recrutements. Le secrétariat à la Santé a récemment annoncé l’embauche de 6600 nouveaux médecins et 13 000 nouveaux infirmiers, pour commencer à renforcer les effectifs hospitaliers dans les semaines qui viennent.

Des centaines de soignants déjà infectés

Toutefois, les quelques milliers de nouveaux médecins et infirmiers que les autorités espèrent voir arriver bientôt dans les hôpitaux pourraient ne suffire qu’à remplacer les milliers de soignants qui seront – ou sont peut-être déjà – infectés par le COVID-19.

A deux mois du pic de l’épidémie tel que le prévoient les autorités, l’IMSS reconnaît déjà que 585 de ses soignants ont été infectés, dont neuf ont succombé au COVID-19. Plus de quarante soignants ont d’ores et déjà été infectés dans un seul hôpital de Cabo San Lucas, en Basse-Californie du sud.

Les chiffres officiels de soignants infectés, étant donnée l’ampleur des épidémies déjà observée à l’intérieur des hôpitaux dans plusieurs états fédérés, sont sujets à caution. Le taux de contagion du personnel soignant au Mexique – à moins qu’encore une fois, les autorités ne réussissent leur pari de livraison massive d’équipements de protection chinois dans les hôpitaux – sera probablement égal voire supérieur à celui des Etats-Unis, où il est aujourd’hui estimé entre 15 et 30%.

Clément Détry – Le Grand Journal du Mexique (www.laprensafrancesa.com.mx)

* Un accord conclu le 14 avril dernier entre différentes et plusieurs associations d’hôpitaux privée prévoit la mise à disposition d’un peu plus de trois mille lits du secteur hospitalier privé, pendant un mois, au profit de l’IMSS.

 

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