Manuel Felguérez, le pape de l’art abstrait Mexicain nous a quitté ! (Video)

L’artiste peintre et sculpteur Manuel Felguérez nous a quitté hier matin à l’âge de 91 ans. Malade du Covid-19, il n’a pas souhaité être interné et n’a pu surmonter la maladie. Génie incontesté, il a révolutionné l’art abstrait au Mexique et exporté son oeuvre dans le monde entier y compris sur les murs de l’ONU.

En 2010 lors du Festival Culturel de Zacatecas, le Grand Journal a eu l’honneur d’interviewer Manuel Felguérez, maitre incontesté de l’art abstrait Mexicain et un des leaders du mouvement dit de « rupture » dont la carrière puise une partie de ses racines en France. Il nous parle de sa vie parisienne, de son œuvre et du musée qui porte son nom ! Découvrez cet humaniste qui prenait plaisir à suivre notre journal ! Merci à lui….

(De nos archives: Article publié le 28 Mai 2010)

Véritable icône dans son pays, Manuel Felguérez est aujourd’hui comparé, en termes de notoriété, au grand Diego Rivera dont il fut un fervent opposant… du moins sur le plan artistique. Octavio Paz déterminera le mouvement, mais Manuel Felguérez en sera un des initiateurs !  Avec eux naissent la génération “de la rupture” en opposition avec la traditionnelle école de peinture mexicaine qu’incarnait Rivera, David Alfaro Siqueiros et José Clemente Orozco dans les années 50.

Une rencontre inoubliable

Du « haut » de ses 82 ans Manuel parcourt tranquillement une galerie splendide dans laquelle sont exposés quelques uns des plus grands artistes contemporains au sein du musée qui porte son nom : « El Museo de Arte Abstracto Manuel Felguérez » de Zacatecas. Sa démarche est lente (s’appuyant sur une canne en bois), mais le pas est décidé.

Nous nous retrouvons face à une de ses œuvres, un tableau imposant placé en plein centre d’un pan de mur gigantesque, assis sur un petit banc en bois comme au Louvre. Nous sommes seuls au monde sous les voutes de ce que fut une chapelle au temps où ce musée fut une prison… Tout est beau, tout est calme, tout est grandiose !

El maestro bourre tranquillement sa pipe et l’allume (privilège absolu du seul maitre dans le musée bien sur). Il croise mon regard. Son œil est pétillant de malice, son sourire hilare et il démarre la conversation sans même attendre la question sachant qu’à tout moment il faudra qu’il se lève pour rejoindre la gouverneur qui vient d’arriver dans le hall…. « Elle attendra bien 15 minutes ! dit-il d’un air amusé ».

« Tu sais j’adore la France », me dit-il en introduction « mon premier voyage je l’ai effectué en 1947 comme scout et je fus fasciné par les musées que j’ai pu visiter. Ce fut une révélation pour moi de découvrir tous ces peintres et sculpteurs et je pense que ce premier voyage en France a déterminé à tout jamais ma vie et mon œuvre ».

Au départ il se destinait à devenir médecin mais à son retour de France il s’inscrit de suite à l’école nationale des arts plastiques de la UNAM (Universidad Nacional Autónoma de México). En 1949 il repart en France pendant 2 ans et travaille avec le grand sculpteur français d’origine Russe Ossip Zadkine, un des papes du cubisme qui deviendra son parrain artistique.

Une bourse pour étudier en France !

En 1954, son travail est déjà très remarqué et lors d’une exposition à l’institut Français de l’Amérique latine, la France lui octroie de suite une bourse qui lui permettra de revenir étudier en France. « C’était merveilleux » dit-il « lorsque j’ai montré à Zadkine les photos de mon exposition il m’a simplement répondue : tu sais quoi ? on se verra le dimanche pour boire du vin seulement car je n’ai plus grand-chose à t’apprendre, ton chemin est déjà tracé. J’y allais donc le dimanche pour faire signer mes papiers de la bourse! » se rappelle-t-il amusé.

A cette époque il fréquente l’Académie Colarossi et ces années parisiennes sont aussi celles de belles rencontres. Il y a d’abord Constantin Brâncusi, le plus grand sculpteur roumain, considéré comme étant l’un des précurseurs de l’art moderne et qui par élimination des détails crée l’art abstrait. Manuel Felguérez sera conquis. Sa décision est prise: il va travailler l’art abstrait. Et puis une rencontre de cœur avec sa première épouse, Lilia Carrillo qui étudie aussi avec Zadkine et avec qui il se mariera en 1960. Elle décédera d’une longue maladie en 1974… Plus tard il se remariera avec une femme extraordinaire, compagne de tous les jours, Mercedes Oteyza, dite « Meche » qui gère avec brio une grande partie de sa carrière et son agenda !

Le retour au Mexique, les années Rupture

Manuel rentre au Mexique en 1956 et réalise une 1ère expo qui fait polémique. Il se lie d’amitié avec d’autres peintres comme Vicente Rojo, Fernando Garcia Ponce, Juan Martin. Un groupe qui se forge au fur et à mesure des rencontres, dans les galeries mais aussi les expos et qui peint un art libre, un art abstrait alors que la mode ou du moins l’école officielle peint avec des idées sociales (pour ne pas dire soviétiques), un esprit nationaliste, avec une fonction populiste et clairement éducative… « Un mouvement réaliste et légitime » dit Manuel Felguerez « produit de la révolution bien sûr mais il ne faut pas oublier que le Mexique dans les années 60 avait changé. Plus industriel, plus moderne, plus urbain, notre art était le produit d’une société nouvelle ».

« Notre groupe était générationnel et touchait à tout. Nous nous intéressions au cinéma, à la musique, au théâtre ». Il travaille avec Alejandro Jorodovsky, participe au film « El Topo »… « En fait aucun manifeste ne nous liait. Tous étions libres comme des électrons… Cette nouvelle génération avait en fait conquis de nouveaux espaces ». Les idées 68 lui plaisent, l’autogestion, la passion pour l’action, les groupes pluriels. Il est dans son temps !

Une carrière bien remplie

Manuel Felguérez utilise la technologie dans son art plastique. Ce sont les projets tels que El espacio múltiple (1973) y La Máquina Estética (1975). La période dite « del constructivismo » avec de grandes œuvres très techniques. Plus tard dans les années 80 il s’essaiera davantage à la peinture avec des œuvres de la période dites « expressionniste ».

Dans les années 80 il devient donc célèbre et riche aussi. Paris lui manque et il décide d’y retourner un peu plus souvent. Entre 1980 et 88 il loue un appartement sur l’île St Louis et exposera tout de même au Musée d’art contemporain, aux Beaux Arts de Bruxelles et à la Maison de l’Amérique Latine. « J’étais un peu déçu » dit-il « j’ai trouvé le milieu intellectuel français très fermé et très renfermé mais je profitais tout de même de Paris »….

Le musée d’art abstrait de Zacatecas Manuel Felguérez

Nous abordons le thème de son musée: « en fait tout est parti d’un projet de rénovation urbaine du centre ville historique de Zacatecas. Il existait le musée Goitia mais les politiques de l’époque voulaient davantage de contenu pour attirer du tourisme et faire de Zacatecas, état ou je suis né, une destination culturelle de qualité. J’ai donc fait don à la nation via Bellas Artes d’une collection très importante pour créer un musée d’art abstrait ».

Ce fut le cas également pour le musée Raphael Coronel et Pedro Coronel, ce dernier abritant une des plus belles collections de masques au Mexique….!

« Mais tu sais c’est compliqué, le musée est pauvre car nos budgets sont limités ; l’état de Zacatecas nous alloue 400 000 pesos par an et paie les salaires, Mexico nous donne aussi 400 000 pesos, c’est bien mais avec cela il nous est impossible d’organiser de très grandes expositions qui exigent de très gros budgets comme dans les musées américains ou européens. Nous faisons donc avec les moyens dont nous disposons…. »

Quelle humilité car ce musée est extraordinaire ! Outre l’exposition permanente du maître, des expositions itinérantes ont lieu toute l’année et les espaces sont absolument splendides. Des projets d’extensions sont prévus et l’organisation même est digne des grands musées internationaux avec boutique, guides et services divers dont un auditorium magnifique…

Quoi qu’il en soit Manuel Felguérez pétille de projets, est sollicité de partout et par tout le monde. Il a atteint le summum de sa carrière et profite de son vivant des charmes de la notoriété. Adulé comme une rockstar lors de ses promenades en ville, il se laisse choyer par ses concitoyens qui par ici lui demandent un autographe et qui par là une photo en famille. Il est un « papi» moderne, actif, disponible et tellement dans son temps. Mexicain de naissance, français de cœur, humaniste et tout simplement génial.

« Aujourd’hui je passe beaucoup de temps en voyage et je me repose à Puerto Vallarta où j’ai acheté une belle maison pour contempler la mer et le ciel. Je suis heureux et en même temps un peu déçu de voir que les générations actuelles sont plus individualistes ; l’esprit de groupe qui nous animait a un peu disparu, mais bon ça reviendra…. »

« Bon, il faut y aller, cela fait une demie heure que la gouverneur nous attends, nous reprendrons notre conversation ce soir au bar de l’hôtel Emporio » ! Le Maestro se lève salue au passage certaines personnalités venues le chercher et rallume sa pipe avant de reprendre sa canne pour un nouveau rendez vous..

Je suis tellement heureux de l’avoir croisé ne serait-ce que quelques heures ! Quelle énergie, quel talent, quelle humilité….Il est tout simplement formidable ce type !!

Alain Figadère – (www.legrandjournal.com.mx)


Infos Pratiques

Museo de Arte Abstracto Manuel Felguérez
 Calle Colón esquina con Seminario s/n
 Centro Zacatecas, Zac.
 Tel. (052) 492-9243705
 maamf_zac@yahoo.com.mx  

Site internet: http://www.museodearteabstracto.com/

EXPO PARIS 2011

Manuel Felguérez, l’un des plus grands noms de l’art contemporain mexicain, expose dans la capitale française. Ce maître de l’art abstrait présente jusqu’au 22 novembre 2011 à l’Institut culturel mexicain à Paris une trentaine de pièces allant de la sculpture, en passant par la peinture et autres graphies.

« Agenda 2030 » por el Maestro Manuel Felguérez, un regalo de México a la ONU

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