Point de vue – Le Mexique est au bord de la crise de nerfs !

Le Mexique en a ras le bol. De la corruption. De la guerre sans fin contre la drogue. Du libre-échange qui ne tient pas ses promesses. Des insultes de Donald Trump. Gens du nord, vous feriez mieux d’attacher vos ceintures. Une tempête politique majeure s’annonce au sud du Rio Grande. Par JEAN-SIMON GAGNÉ.

Chaque fois qu’il prend la direction de la campagne, au nord-ouest de Mexico, le journaliste Patrice Gouy aperçoit une patrouille de police, embusquée à la sortie de la ville. Les agents arrêtent les voitures. Ils contrôlent les papiers. La mine grave, ils font croire que tout va mal jusqu’à ce qu’on leur tende un billet de 500 pesos. Tout s’arrange alors miraculeusement.

«Ils rançonnent la population, explique Patrice Gouy, rejoint par Le Soleil à son domicile de Mexico. Si tu refuses de payer, ils te rendent la vie impossible. De toute manière, tu ne peux pas porter plainte. Le directeur de la police touche probablement un pourcentage. Et si tu pousses les choses trop loin, on risque de faire une enquête sur toi. Ici, d’une manière générale, il ne faut jamais avoir affaire à la justice ou à la police.»

L’anecdote illustre à quel point la corruption empoisonne la vie quotidienne des Mexicains. «Ici, tout s’achète, y compris la justice, explique Patrice Gouy. C’est un business. Tout le monde touche un pourcentage. Tu t’es fait voler? Si tu veux qu’il y ait une enquête, tu dois payer. T’es trop pauvre? Alors tu peux toujours attendre.»

Dans son dernier rapport, l’organisation Transparency International classe le Mexique au 123e rang sur une liste de 176 pays. En 2015, les dessous-de-table et les pots-de-vin auraient coûté 53 milliards $ à l’économie du pays. Autant de chiffres qui donnent raison à un célèbre président mexicain, qui se vantait de pouvoir acheter n’importe qui. «Personne ne résiste à la décharge provoquée par 50 000 $, disait-il. C’est plus efficace qu’un coup de fusil.»

Le ras-le-bol généralisé force tout de même les autorités à bouger. À la mi-janvier, une imposante marche a traversé le pays pour dénoncer un «système de détournement des fonds publics au profit du Parti révolutionnaire institutionnel», la formation de l’actuel président, Enrique Peña Nieto. Quatorze anciens gouverneurs d’État sont en prison, en procès ou en cavale. L’automne dernier, même le nouveau tsar de la lutte anticorruption s’est fait prendre la main dans le sac. Monsieur avait enregistré sa Ferrari neuve à l’adresse d’une maison abandonnée, pour éviter de payer la taxe de luxe.

Reste que l’opération mains propres montre vite ses limites. En 2016, les sénateurs mexicains se sont voté un juteux bonus, atteignant parfois 400 000 pesos, tout de suite après avoir approuvé… une batterie de règlements anticorruption.

19 000 morts

Malgré tout, la corruption n’est pas le seul problème qui fasse pleurer de rage les Mexicains. La guerre aux cartels de la drogue, lancée en 2006, tourne à la catastrophe. L’an dernier, elle a fait plus de 19 000 morts. Seule la guerre en Syrie a fait plus de victimes!  «Le crime organisé transforme le Mexique en cimetière», constate un ancien de l’Agence antidrogue américaine.

Personne n’est épargné. Le 5 février, par exemple, deux prêtres ont été assassinés au retour d’une fête religieuse, dans l’état du Guerrero, 150 kilomètres au sud de Mexico. Apparemment, un véhicule a obligé leur camionnette à s’arrêter au milieu de l’autoroute. Des inconnus ont ouvert le feu. Les prêtres sont morts sur le coup.

Un règlement de compte? Une erreur? On ne saura jamais. Dans l’état de Guerrero, les tueurs sont rarement traduits devant la justice. Un peu partout, la culture du maïs a cédé la place à celle de la marijuana, avant d’être elle-même remplacée par le pavot, qui sert à fabriquer l’héroïne. Signe des temps, 95 % de l’héroïne saisie aux États-Unis provient désormais du Mexique.

En dehors de quelques régions touristiques, la violence s’étend à tout le pays. Acapulco, l’ancienne «perle» du Pacifique, est devenue l’une des villes les plus dangereuses. Au début janvier, la chaîne Al Jazeera l’a rebaptisée «la capitale du meurtre», après une série de fusillades ayant fait 18 morts en deux jours. Sur place, les témoins ne distinguaient pas toujours les policiers et les bandits, les bons et les méchants.

Au début, le gouvernement croyait gagner la guerre en tuant ou en arrêtant les dirigeants des cartels. Sauf qu’à chaque fois qu’il coupe une tête, une dizaine repoussent. «L’offensive contre les cartels a conduit à leur éclatement, écrit Raphaël Laurent, correspondant de Ouest-France à Mexico. […] Plus d’une centaine de groupes ont été recensés. [Les petits groupes] ont diversifié leurs activités : séquestrations, forage illégal de pétrole, racket…». En province, les nouveaux barons de la drogue règnent sur leur territoire comme des seigneurs du Moyen Âge. Leur cruauté dépasse l’imagination. Un groupe achevait même ses victimes avec des machines conçues pour sabler les planchers de bois franc…

Exaspérées par l’insécurité, des régions s’organisent. Comme la ville de Tancítaro, au centre du pays, qui se proclame la «capitale mondiale de la culture de l’avocat». Depuis 2014, la municipalité est devenue une sorte de mini-­dictature indépendante, en expulsant à la fois les narcotrafiquants et les policiers. La sécurité est désormais assurée par des miliciens privés, payés par un regroupement de grands producteurs, connu sous le nom de «Junte de salubrité agricole». L’organisation vise d’abord à protéger les précieuses cargaisons d’avocats, d’une valeur d’un million $, qui prennent chaque jour la route des États-Unis.

52 millions de pauvres

Il serait injuste d’accuser l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) d’être le seul responsable de la montée en puissance du narcotrafic. Mais la libéralisation du commerce a fait perdre deux millions d’emplois dans le secteur agricole. Le maïs et les produits américains bon marché ont inondé le Mexique. Pour survivre, nombre de paysans se sont tournés vers la culture de la marijuana ou du pavot.

Aux États-Unis et au Canada, le Mexique est souvent présenté comme le grand vainqueur de l’ALENA. C’est vrai, ses exportations ont été multipliées par sept, depuis 1993. Les investissements étrangers ont aussi explosé. Des millions d’emplois manufacturiers ont été créés, en particulier dans les états du nord.

Sauf que le libre-échange n’a pas rempli toutes ses promesses. Un quart de siècle après l’entrée en vigueur de l’ALENA, le Mexique compte encore 52 millions de pauvres. Le salaire moyen est trois fois plus bas que celui du Canada. Le salaire minimum est plus bas que celui de la Chine…

Même dans l’industrie automobile, les salaires mexicains sont à la traîne. «Au Canada et aux États-Unis, les travailleurs peuvent se payer une voiture avec cinq mois de salaire. Au bout de la même période, les travailleurs mexicains s’achètent seulement quatre pneus et un volant,» résume un syndicaliste canadien.

Au moment de la signature de l’ALENA, plusieurs experts croyaient que l’accord allait révolutionner le Mexique. Ils affirmaient que les compagnies étrangères changeraient les mœurs, notamment en matière de corruption. En fait, ce fut le contraire, comme le montrent les mésaventures de la filiale mexicaine de Walmart, le plus grand employeur privé du pays.

En juin, l’entreprise aurait payé une amende de 300 millions $, en échange de l’abandon d’accusations de corruption dans plusieurs pays, incluant le Mexique.

Une blague s’amuse désormais de ces espoirs déçus. «Un lobbyiste de l’industrie automobile offre une voiture neuve au gouverneur d’un État mexicain. Ce dernier lui explique qu’il n’a pas le droit d’accepter un cadeau, mais qu’il pourrait lui acheter la voiture. Je comprends, répond le lobbyiste. Ce souci de respecter la loi vous honore, M. le gouverneur. Il va de soi que vous pouvez acheter le véhicule. Donnez-moi un peso et l’auto est à vous.  Le gouverneur se met à réfléchir. Il demande. — C’est si peu cher? Alors je vous donne deux pesos et j’en prends deux.» !!!

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