Procés – « El Chapo Guzman », un baron de la drogue qui ne possède rien !

Dans sa dernière édition, la revue mexicaine Proceso a confirmé une information qui fait planer des doutes sur l’impact réel de sa condamnation : el Chapo n’est propriétaire d’aucun actif selon les informations en possession des autorités américaines.

Ni aux Etats-Unis, comme le suggéraient déjà les réquisitoires du parquet, ni davantage à l’étranger.

A l’issue de son procès à New York, le narcotrafiquant Joaquin Guzman Loera, alias “ El Chapo ”, a écopé d’une condamnation aussi sévère qu’intrigante. Accusé, entre autres, de trafic de drogue, meurtre et blanchiment d’argent, le criminel mexicain s’est vu infliger la prison à perpétuité assortie d’une peine complémentaire de trente ans, ainsi qu’un ordre judiciaire de confiscation d’actifs pour un montant de 12 milliards 666 millions 181 mille dollars américains.

Dans un document de douze pages, le Parquet a justifié cette somme par un calcul basé sur les témoignages de Jesús Zambada – qui s’est présenté au procès comme “ comptable du Cartel de Sinaloa ” – et de deux autres personnes, Juan Carlos Ramírez et Jorge Cifuentes Villa, écoutés par le tribunal en leur qualité de “ fournisseurs ” de cocaïne colombienne dans le cadre de cette organisation.

Le document n’apporte cependant aucune précision sur les lieux et les modalités de saisie d’une telle quantité d’actifs, et ne dément donc pas l’affirmation de la défense du prévenu, continue tout au long du procès, selon laquelle la justice américaine a été incapable de prouver la fortune criminelle de M. Guzman (dont la réputation de magnat du narcotrafic a été renforcée par son inclusion, entre 2008 et 2012, dans le top 20 des milliardaires mondiaux élaboré par la revue Forbes).

Au terme de la prononciation du verdict de la Cour d’assises de Brooklyn, auquel le condamné a fait appel, son principal avocat Jeffrey Lichtman a ainsi réaffirmé la position de la défense, mettant au défi le Département américain de la Justice de trouver “ ne serait-ce qu’un centime de ces douze milliards de dollars soi-disant gagnés par M. Guzman ”.

La plupart des actifs se trouvent sûrement au Mexique ”, a fait savoir à The Observer Duncan Levin, l’ancien procureur anti-blanchiment de Manhattan, suggérant que l’absence d’informations concernant d’éventuels avoirs de Joaquin Guzman Loera aux Etats-Unis s’expliquerait par leur présence au sud du Río Grande. Mais il ne s’agit là que d’une supposition, comme en témoigne une enquête de la revue Proceso.

En effet, “ El Chapo ” ne possède rien, si l’on en croit les listes d’avoirs de personnes recherchées par les Etats-Unis mises en ligne par le Bureau américain de contrôle des avoirs étrangers (OFAC), et consultées par le journaliste d’investigation José Raúl Linares. Tout juste le dirigeant présumé du “ Cartel de Sinaloa ” n’y est-il cité qu’en relation indirecte avec certains actifs.

Les autorités américaines utilisent habituellement les listes d’avoirs que l’OFAC publie sous la supervision du Département au Trésor lorsqu’elles décident d’appliquer des sanctions économiques, financières et commerciales à l’encontre de citoyens et d’entités de pays étrangers.

Proceso précise, toujours d’après les listes mises à disposition par ce service de contrôle financier du Département du Trésor, que d’autres criminels mexicains tels Ismael Zambada (“ El Mayo ”), Rafael Caro Quintero et Juan José Esparragoza (“ El Azul ”) détiennent toutes sortes d’actifs dans l’économie légale, tels que des compagnies aériennes, des stations thermales, des complexes immobiliers, des station-services, des banques et même des fabriques de jouets.

Mais ni Guzman Loera, ni aucun membre de sa famille, ni aucun prête-nom présumé du narcotrafiquant ne figure comme propriétaire ou actionnaire de ces quelques 257 sociétés qui, selon l’OFAC, blanchissent l’argent du “ Cartel de Sinaloa ” au Mexique, en Amérique du Sud et en Europe. “ Le calcul judiciaire des revenus d’El Chapo ne s’est appuyé que sur les témoignages ”, en déduit le journaliste de Proceso.

Un doute que ne partage pas l’ex-procureure générale adjoint des Etats-Unis, Sally Yates, qui a initié les poursuites contre El Chapo sous l’administration Obama. Le 17 juillet dernier, quelques heures après la condamnation, Yates réaffirmait que “Guzmán Loera est le dirigeant présumé d’une entreprise criminelle transnationale multimillionnaire qui a amené la drogue dans nos rues, la violence dans notre société et la misère dans nos quartiers”.

Dans les semaines qui ont suivi la condamnation du narcotrafiquant à New York, les autorités américaines et mexicaines ont affiché leur intention de coordonner leurs efforts en vue de la confiscation de sa fortune présumée.

Le gouvernement d’Andrés Manuel Lopez Obrador (AMLO) – malgré le discrédit hérité des deux évasions de Guzman Loera, en 2001 puis en 2015, lors de ses incarcérations successives au Mexique – est à l’origine d’une initiative de “ commission binationale ” visant à mettre la main sur ces actifs.

Nous allons devoir arriver à un accord concernant la récupération de ces actifs. Le Mexique ne pourra pas les accaparer entièrement, mais les Etats-Unis non plus”, a déclaré le chancelier Marcelo Ebrard à la suite d’une réunion avec son homologue américain Mike Pompeo.

Bien que le nom de Joaquin Guzman soit mentionné dans la loi américaine de désignation des narcotrafiquants étrangers, dite Loi Kingkin, le destin des milliards d’El Chapo reste un mystère que le procès du narcotrafiquant mexicain extradé en 2017 n’a pas aidé à résoudre.

Clément Detry – (www.laprensafrancesa.com.mx)

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