Par Pascal Drouhaud – Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche a replacé l’Amérique latine dans une actualité internationale tendue. En mettant en l’avant la thématique migratoire, le Président américain entend placer les Etats latino-américains concernés, face à leurs responsabilités. La crise diplomatique éclair, entre la Colombie et les USA est le révélateur de cette nouvelle réalité. En refusant de voir les avions américains transportant des migrants atterrir sur le sol colombien, le Président Gustavo Petro) n’a pu résister devant la décision des Etats-Unis de rehausser de 50 % les tarifs douanier pour tout produit entrant sur leur sol.
La position américaine assure désormais une pression qui va obliger plusieurs pays à devoir évoluer.La position de Washington vise non seulement à satisfaire un électorat américain, mais également à mettre chacun devant ses responsabilités en matière de gouvernance.
En moins de 24 heures, la Colombie est revenue sur sa première annonce, laissant entrevoir la réalité d’un rapport de force dont la portée va plus loin que la seule dimension migratoire. Il s’agit pour les Etats-Unis de pratiquer une politique de « l’endiguement », le fameux « containment » de la période de la guerre froide, et si possible le « roll back », le refoulement, de deux fronts : sur le plan commercial, la présence renforcée depuis plusieurs années de la République populaire de Chine sur l’ensemble du continent et desserrer l’emprise d’un « Sud global » qui gagnait en influence sur le continent. La Chine est en effet devenue l’un des principaux partenaires commerciaux de l’Amérique latine, à commencer par le Brésil sans oublier le Mexique, le Panama, l’Argentine, le Pérou ou l’Equateur.
L’inauguration en marge du Sommet de l’APEC au Pérou les 12 et 13 novembre dernier, du plus grand port chinois dans la ville de Chancay par le Président XI Xinping laisse entrevoir la bataille commerciale qui s’annonce. Elle risque de prendre en tenaille l’Amérique latine entre les intérêts nord-américains et chinois, ou d’accélérer le basculement du continent vers le géant asiatique. Les relations avec le Mexique, premier partenaire commercial des Etats-Unis ou la Colombie, qui a le statut depuis 2017 « allié majeur hors OTAN », montrent la volonté des Etats-Unis de revenir sur un continent latino-américain après avoir donné le sentiment de s’en éloigner, sinon le délaisser. Le développement de la violence, né du renforcement de trafics, notamment celui de la drogue, constitue un défi majeur qui menace l’unité nationale et les Etats dans plusieurs pays : en Haïti, la lutte contre les gangs est actuellement hors de contrôle, ouvrant un foyer à risque dans la région des Caraïbes. Les pays andins, producteurs ou voies de transit, sont en lien avec les cartels mexicains, avant une exportation vers le Pacifique, le Nord et l’Europe via l’Afrique. Les turbulences politiques du Vénézuéla rajoutent une instabilité en Amérique du Sud, déséquilibrant le rôle de la Colombie.
Dans ce contexte, l’Amérique latine est plus que jamais à la croisée des chemins. Elle court le risque de devenir en 2025, le nouveau terrain de bataille de la rivalité commerciale entre les Etats-Unis et la Chine. Cette option verrait le continent balloté au gré des intérêts des deux principaux acteurs internationaux. L’Amérique latine pourrait-elle devenir, dans sa diversité, un refuge pour de nombreuses entreprises à la recherche de nouveaux débouchés ? Il apparait surtout que 2025 va renforcer une stratégie fragmentée, avec en arrière fond, un combat politique et idéologique entre les pays tentés par le « Sud global » et les autres. La problématique migratoire et sécuritaire, dans le cadre de la lutte contre le narcotrafic, conduit à poser la question de la gouvernance et du schéma de développement économique. Autant dire que la place de l’Amérique latine dans le monde, se joue en 2025.
2025 : l’année de tous les dangers pour l’Amérique latine ?
Sur tous les plans, 2025 est l’année de tous les dangers pour un continent qui apparait fragmenté tant les situations de chacun des pays est différente de celle de son voisin. A cela, s’ajoute le fait que les organisations de coopération régionale, sont en difficulté depuis la période de la Covid 19. Le Système d’Intégration centraméricain (SICA) est à l’arrêt en raison des postures prises par le Nicaragua. Le Marché commun du sud (Mercosur) va peut-être voir l’un de ses éminents membres, l’Argentine, en sortir dans le courant de l’année. L’Alliance du Pacifique n’est plus opérationnelle tout comme l’ALBA. La CARICOM9 et l’Association des Etats Caraïbes se doit de contenir et résoudre la crise en Haïti, devenu un foyer de tensions permanent dans la région. La CELAC peut porter la voix du continent mais elle reste limitée par les fractures politiques et idéologiques internes.
Le retour de Donald Trump est un défi majeur pour les Etats latino-américains. En effet, la mise en place dès le 20 janvier 2025, d’une politique visant à contrôler l’immigration illégale, avec le retour de migrants clandestins dans leurs pays d’origine, renvoie automatiquement les pays concernés face à leur responsabilité politique. En d’autres termes, les USA sous l’ère du 47ème Président, ont décidé de freiner sinon en terminer avec la progression des positions alternatives prises par plusieurs pays d’un continent qui semble redevenir pour Washington, le « back yard » bien connu pendant la guerre froide.
Le problème migratoire pose celui de la gouvernance, des problématiques de mal développement. Par exemple, le Vénézuéla a connu depuis la crise politique de 2017, le départ de plus de 6 millions de personnes. 2 millions se sont installées en Colombie voisine, déséquilibrant une partie de l’économie nationale. Les autres sont essentiellement partis à pied, vers le Nord et les Etats-Unis, en traversant notamment la désormais tristement connue région du Darien au Panama. Enfin, près de 500.000 ont rejoint des pays comme le Chili, le Pérou ou l’Equateur. Cette migration est d’origine politique, représentant une fraction de la population qui avait perdu tout espoir de vie digne et libre au Vénézuéla. Il en est de même avec Haiti qui souffre des stigmates d’un sous-développement permanent, aggravant la position d’un Etat qui apparaît failli et inopérant, depuis la prise de contrôle de pans entiers du pays par des gangs liés au narcotrafic. Le Nicaragua est devenu une plaque tournante d’accueil et de départs de migrants nouveaux, essentiellement ouest-africains, souhaitant rentrer aux Etats-Unis par la frontière mexicaine. Il s’agit d’une réalité au quotidien et pourtant peu relayée car méconnue.
La volonté de Washington de contrôler cette partie de l’immigration par des leviers non seulement sécuritaires mais également économiques. Ils portent sur la protection du marché intérieur par la hausse de tarifs douaniers sur les produits émanant de pays qui apparaissent aux yeux de la nouvelle administration comme des concurrents déloyaux.
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Par PASCAL DROUHAUD
Spécialiste du Salvador et plus globalement de l’Amérique Latine, il est l’auteur de nombreux articles sur la dissuasion nucléaire et sur les processus de démocratisation en Afrique et Amérique latine. Les pays émergents et en voie de développement constituent son domaine de spécialisation. Il contribue régulièrement à la Revue politique et parlementaire depuis 2020 et tient la chronique mensuelle Amérique latine de la Revue Défense Nationale depuis janvier. Il est membre du Conseil d’administration de l’Institut des hautes études de l’Amérique latine (IHEAL) et il est également chercheur-associé à l’Institut Choiseul. Contact: https://fr.linkedin.com/in/pascal-drouhaud