Alors que Donald Trump avait hérité de ses prédécesseurs d’un mur de 1 052 kilomètres, celui-ci ne mesurera donc que de 1 181 kilomètres le 20 janvier, jour de l’investiture de son successeur. Une avancée qui ne représente qu’une goutte d’eau à l’échelle de la frontière.
Le 5 janvier, le directeur par intérim de la CBP (l’agence américaine chargée des frontières), Mark Morgan, annonçait fièrement sur Twitter que l’administration Trump avait construit 450 miles (soit 724 kilomètres) de mur supplémentaire lors du mandat du président républicain. Un chiffre impressionnant et qui représenterait près d’un quart du total de la frontière terrestre entre les deux pays (3 145 kilomètres).
Mais le gouvernement Trump tord la réalité. Sur ces 450 miles, seuls 80 (128 kilomètres) correspondent à des sections réellement sorties de terre dans des endroits jusque-là demeurés vierges. Le reste consiste en des rénovations et améliorations d’anciennes sections aménagées au cours des années 1990 par l’administration Clinton ou dans les années 2000 par celle de George W. Bush.
« Ma réponse est et restera la même : chaque mile de mur frontalier planté dans notre sol, chaque mile de ces 450 miles de mur fait partie d’un nouveau système de mur frontalier », a assuré Mark Morgan, interrogé par des journalistes sur ce décalage entre les deux chiffres.
Un projet pharaonique ralenti par son financement
Il faut dire que Donald Trump a dû se battre pour trouver les financements. En 2015, pendant la campagne, il avait pourtant promis de faire payer le Mexique. Finalement, la construction des 450 miles a coûté 15 milliards de dollars, tout droit sortis de la poche du contribuable américain.
Si l’allocation de 1,6 milliard au projet ne pose pas particulièrement posé pas de problème en mars 2018 avec un Congrès entièrement sous la coupe des républicains, la deuxième vague de financements provoque pour sa part le plus long « shutdown » de l’histoire des États-Unis. Les élections de mi-mandat sont passées par là et les démocrates ont pris le contrôle de la Chambre des représentants. Les deux camps s’accordent finalement sur un compromis de 1,37 milliard de dollars dédiés à la construction de « nouvelles barrières physiques ». Insuffisant pour Donald Trump, qui déclare alors l’état d’urgence pour puiser des fonds dans les budgets alloués à l’armée et à la lutte contre le trafic de drogue, au nom de la « sécurité nationale ».
Le détournement conduit des associations à porter plainte. En première instance, le financement par les crédits militaires est déclaré anticonstitutionnel. La Cour suprême promet de statuer sur le fond après les élections. En attendant, elle autorise la poursuite des travaux.
De la difficulté de construire au Texas
Une grande partie de la construction se déroule au Nouveau-Mexique, en Arizona et en Californie. Pour une raison très simple : le gouvernement fédéral y est propriétaire de la « Roosevelt Reservation », une bande de 18 mètres de large, le long de la frontière américano-mexicaine dans ces trois États. Les démarches pour construire le long de cette frontière sont donc simplifiées.
En revanche, c’est loin d’être le cas au Texas, l’État qui compte… près des deux tiers de la frontière. Pour Gil Kerlikowske, l’ancien patron de la CBP sous l’administration Obama, ces problèmes légaux ont pour conséquence d’empêcher de construire le mur là où il serait le plus utile.
« La zone où le plus grand nombre de personnes traversent pour les États-Unis est la vallée du Rio Grande [la région près de McAllen où se rend Donald Trump, NDLR] », explique ainsi Gil Kerlikowske au média américain Fact Check. « Il est beaucoup plus difficile d’ériger une barrière là-bas en raison de la propriété foncière privée, du fleuve Rio Grande et des zones agricoles. Donc l’endroit où le besoin de construire serait le plus justifié est précisément celui qui est négligé. »
Une efficacité difficile à démontrer
En août 2020, lors de la convention républicaine, Donald Trump insistait sur le fait que son « mur [allait] bientôt être terminé et que ses résultats [étaient] au-delà de toutes les prévisions ».
Pourtant, aucune donnée chiffrée n’appuie ses déclarations. Selon les statistiques fournies par la CBP, après avoir doublé entre 2018 et 2019, le nombre d’arrestations de migrants à la frontière a effectivement diminué. Mais une étude du Pew Research Center attribue cette baisse à l’épidémie de Covid-19 et la replace dans le contexte des fermetures mondiales de frontières.
« Donald Trump a toujours prétendu que le mur servait à bloquer les immigrés et les demandeurs d’asile, et à bloquer aussi le trafic de drogue. Mais en réalité, on sait que la plupart de la drogue qui entre aux États-Unis en quantité massive passe dans des véhicules qui pénètrent dans le pays par la grande porte », note sur RFI James Cohen, professeur à l’université Sorbonne Nouvelle et spécialiste des affaires d’immigration et de frontières aux États-Unis. « Quant aux migrants, ce qui les a le plus bloqués, c’est la politique de Trump, les ayant obligés à rester au Mexique. Ce qui est parfaitement contraire à la loi américaine et au droit international. »
En effet, outre le mur physique, le président américain s’est acharné à bâtir un mur virtuel et administratif compliquant la migration légale aux États-Unis. Par le biais d’accord avec le Mexique, tout demandeur d’asile est désormais tenu de patienter du côté sud de la frontière en attendant que son dossier soit jugé. C’est la politique « Remain in Mexico ».
L’intensité des flux migratoires dépendant largement des contextes politiques, économiques et sanitaires des pays de départ, il faudra probablement des années pour évaluer si le mur est efficace dans la lutte contre l’immigration clandestine.
Avec le départ de Donald Trump de la Maison Blanche, la construction du mur devrait s’arrêter. Joe Biden a promis que « pas un nouveau kilomètre de mur ne serait construit » durant son mandat. Cependant, les barrières les plus récentes ne seront pas démolies et devraient encore longtemps défigurer les paysages frontaliers, le président élu se refusant pour le moment de promettre leur destruction.
Source – France24