DÉCOUVERTE – En étudiant l’ADN de squelettes vieux de près de 500 ans, des scientifiques viennent de découvrir que l’une des plus grandes épidémies qui a décimé la civilisation aztèque provient d’une salmonelle. LCI a demandé à une spécialiste de l’histoire des Aztèques de décrypter cette découverte.
On en sait plus sur l’une des plus grandes épidémies de l’histoire, qui a décimé des millions d’Aztèques, entre 1545 et 1550. Dans un article publié lundi dans la revue Nature Ecology and Evolution, des scientifiques affirment que cette pandémie provient d’une salmonelle et a provoqué une fièvre typhoïde qui s’est propagée parmi cette civilisation basée au Mexique.
Vingt ans avant l’apparition de cette épidémie, au moment de l’arrivée des conquistadors espagnols, une première vague de variole avait déjà tué plusieurs millions d’Aztèques, précise The Guardian. LCI a contacté l’anthropologue et ethnohistorienne française Danièle Dehouve, spécialiste du Mexique et directrice de recherche au CNRS, pour en savoir plus sur cette période charnière de l’histoire.
LCI : Que sait-on désormais sur les épidémies qui ont décimé les Aztèques ?
Danièle Dehouve : On sait depuis longtemps que des épidémies ont touché la population aztèque. Ces maladies étaient décrites avec le vocabulaire d’époque mais on ne savait pas à quelle maladie moderne celà correspondait. Concernant les épidémies qui ont eu lieu avant 1540, il est très compliqué pour les chercheurs de savoir ce qui s’est passé, car on n’enterrait pas les morts dans des cimetières. Ce sont les Espagnols qui ont introduit cette coutume-là. Ce qui est nouveau dans cette récente découverte, c’est que, pour la première fois, une épidémie de fièvre typhoïde est liée à une salmonelle.
LCI : Comment s’est manifesté cette épidémie ?
Danièle Dehouve : Il existe très peu de textes d’époque qui décrivent les symptômes. Il existe quelques images de la fin du XVIe siècle qui montrent des morts ayant des petits points sur le corps, ce qui correspond aux symptômes de la fièvre typhoïde. Nous avons aussi le codex Telleriano-Remensis , un manuscrit d’époque montrant des morts, ou des malades, avec des choses qui leur sortent de la bouche et du nez. Mais l’ADN est une preuve beaucoup plus sérieuse.
LCI : Combien d’Aztèques sont morts ?
Danièle Dehouve : Le bilan de cette épidémie fait l’objet de nombreuses polémiques entre les chercheurs. On estime que 80 % des Aztèques sont morts dans les terres côtières, et 50% dans les terres plus centrales. Mais il est compliqué d’estimer le nombre de morts, car les Espagnols n’ont commencé à recenser la population aztèque qu’en 1540, soit cinq ans avant l’épidémie.
LCI : Y a-t-il d’autres causes qui expliquent la mort d’autant de personnes ?
Danièle Dehouve : Oui. Les Espagnols ont également réduit en esclavage des populations aztèques puis les ont contraints au travail forcé. Quand les conquistadors sont arrivés, ils sont entrés en contact avec la noblesse locale et leur ont demandé des tributs : des dindons, de l’or, du cacao, mais aussi des personnes. Ils ont utilisé ces indiens pour aller chercher de l’or dans les rivières, ce qui a occasionné des déplacements de population très meurtriers.
LCI : Que restait-il de la civilisation aztèque après cette colonisation meurtrière ?
Danièle Dehouve : La civilisation aztèque n’a pas disparu. Leurs coutumes n’ont pas disparu, mais les Aztèques étaient juste beaucoup moins nombreux. La population a même commencé à augmenter de nouveau à partir de la fin du XVIIe siècle. Des régions entières se sont redéveloppées à partir de très peu de personnes. Aujourd’hui, on constate que la culture aztèque s’est mélangée à la culture espagnole. Mais il n’y a pas eu de disparition totale de la population à cause de l’arrivée de colonisateurs, comme sur certaines îles des Antilles.
La nature de cette épidémie, appelée « cocolztli », ou « maladie » en langue aztèque, faisait l’objet de plusieurs hypothèses, comme la grippe, la variole ou la rougeole. Les scientifiques ont tranché, grâce à l’analyse ADN de 29 squelettes datant de cette période. Ils supposent que les salmonelles se sont propagées à travers les animaux apportés par les Espagnols lors de la conquête de cette région au XVIe siècle.
Source – LCI