« On peut nous tuer, nous faire disparaître, nous licencier, et il ne se passe rien », accuse la journaliste mexicaine Daniela Rea, lauréate du premier prix Breach/Valdez, hommage à deux journalistes tués en 2017, dans un entretien à l’AFP.
On retrouve presque chaque mois au Mexique le corps sans vie d’un journaliste, abattu dans sa voiture, ou devant son domicile. « C’est cette impunité qui est à la base de nos problèmes », souligne la jeune journaliste, qui a publié « Mexique: Narcopolitique et journalisme » (L’Harmattan), des témoignages de journalistes et de leurs proches rassemblés avec Emiliano Ruiz Parra et Alejandro Almazán.
Elle revendique pour ses collègues « de meilleures conditions de travail » mais surtout la fin de « l’impunité » généralisée.
En arrivant à Paris le week-end dernier, Daniela Rea apprenait la mort de Mario Gomez, 35 ans, journaliste du quotidien Heraldo dans le Chiapas (sud). Le 10e journaliste tué cette année dans le pays: un triste record du monde si l’on exclut la Syrie en guerre.
Née à Guanajuato (centre), Daniela Rea, 35 ans, a couvert de nombreux conflits sociaux pour le journal Reforma et réalisé « L’éternité ne s’est pas rendue », un documentaire sur le témoignage croisé de deux proches de victimes, récompensé au Festival international de cinéma de Morelia.
Près de 120 journalistes ont été tués au Mexique depuis l’an 2000 et pas moins de 21 d’entre eux sont portés disparus, selon Reporters sans frontières.
Les journalistes sont bien seuls et les coupables sont partout, dénoncent les auteurs du livre « Narcopolitique et journalisme ».
– « Aucun lieu n’est plus sûr » –
Des trafiquants bien sûr, mais aussi des gouverneurs d’Etat, des maires, des patrons de presse soumis aux pouvoirs locaux ou qui laissent les journalistes sans protection, et des collègues journalistes en cheville avec les trafiquants.
« Quand on est menacé… On peut avoir envie de disparaître de la surface du monde », témoigne la journaliste. « Aucun lieu n’est plus sûr. La peur provoque des dépressions, te fait remettre en question ce que tu fais, les risques que tu fais prendre à tes proches ».
Vivre dans la peur c’est aussi faire des cauchemars sanglants, ou se faire tatouer un symbole pour que nos proches nous retrouvent dans une fosse commune, comme l’a fait une de ses amies, raconte Daniela Rea, mère de deux enfants.
Créé en 2012 par l’Etat mexicain, le Mécanisme de protection des défenseurs des droits de l’Homme et des journalistes a vu ses crédits rabotés cette année. Son budget 2019 doit être validé par le Congrès mexicain en décembre, quelques jours après l’investiture officielle du nouveau président élu Andrés Manuel López Obrador.
Ce Mécanisme de protection « manque d’indépendance et de moyens », tout comme le Parquet spécial pour la surveillance des délits commis contre la liberté d’expression, regrette Daniela Rea.
Elle milite d’abord pour une amélioration de leurs conditions de travail, « toujours plus précaires ». « Nous avons besoin d’un vrai revenu mensuel pour vivre, et de moyens pour enquêter et nous protéger », demande-t-elle.
Le prix Breach/Valdez, organisé par l’ONU, l’Unesco, l’Agence France-Presse, l’ambassade de France au Mexique et l’université Ibéroaméricaine, a permis la traduction de ce livre en français, l’organisation de conférences avec Daniela Rea, ainsi que l’attribution d’une bourse de recherche à la journaliste.
Il rend hommage aux journalistes mexicains Javier Valdez -collaborateur de l’AFP- et Miroslava Breach, tous deux assassinés dans l’exercice de leurs fonctions.
Source – AFP
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