Lancé en novembre et en pause durant les Fêtes, le procès très médiatisé de Joaquín Guzmán Loera, alias El Chapo, a repris la semaine dernière à New York. Divers témoignages ont permis de lever le voile sur l’univers des cartels mexicains et le versement supposé de 100 millions de dollars à l’ex-président mexicain Peña Nieto…!
Pour la première fois depuis le début du procès du narcotrafiquant mexicain, un témoin implique directement Enrique Peña Nieto.
Âgé de 61 ans, El Chapo fait face à plus d’une dizaine de chefs d’accusation et risque la prison à perpétuité aux États-Unis s’il est reconnu coupable. Son surnom d’El Chapo (le trapu, en espagnol), Guzmán le doit à sa petite taille de 1,68 m.
Selon l’acte d’accusation, l’homme a dirigé entre 1989 et 2014 une entreprise criminelle qui a acheminé aux États-Unis plus de 200 000 kg de cocaïne et autres stupéfiants de Colombie, pour une valeur estimée par les autorités à 14 milliards de dollars américains. On le soupçonne aussi d’enlèvements, de possession d’armes, de blanchiment d’argent. Il a plaidé non coupable.
El Chapo est considéré par la justice américaine comme le plus puissant narcotrafiquant depuis le Colombien Pablo Escobar, mort en 1993. Il est est soupçonné d’avoir aussi commandité au moins 30 meurtres. Il a été arrêté en janvier 2016 après avoir réussi à s’évader à deux reprises de prison. Il a finalement été extradé vers les États-Unis en janvier 2017.
La prospérité des narcotrafiquants ne s’est pas faite sans violence extrême. En raison d’une guerre sans merci entre les cartels, le Mexique a enregistré plus de 200 000 morts violentes dans les 12 dernières années.
Un de ses anciens lieutenants, le témoin Miguel Angel Martinez, a raconté au procès que ce qui n’était qu’une simple rivalité entre clans se disputant le contrôle des routes de la drogue est devenu une guerre sanglante à la fin des années 80. Ce point de bascule est survenu quand le cartel de Tijuana, dirigé par les frères Arellano Felix, aurait assassiné plusieurs amis et associés de Guzmán.
Plus de 300 000 pages et 117 000 enregistrements
Pour le procès, qui devrait encore durer quelques semaines, la justice américaine dit se baser sur près de 300 000 pages de documents et 117 000 enregistrements audio dont certains obtenus par l’administrateur système d’El Chapo qui collaborait en fait avec le FBI.
Recruté par El Chapo en 2008, Christian Rodríguez a été repéré par le narcotrafiquant pour ses talents de geek, rapporte la BBC. Pendant deux ans, le Colombien a protégé les communications du boss du cartel de Sinaloa, qui passait ses appels en Wi-Fi en utilisant des protocoles et des serveurs dédiés. Mais en 2010, le FBI est parvenu à convaincre Rodríguez de travailler pour eux. Aujourd’hui, des centaines d’enregistrements accablants sont en train d’être passés en revue, alors qu’El Chapo est jugé à Brooklyn.
Un témoin a aussi raconté que des pots-de-vin étaient nombreux pour assurer la bonne marche du commerce illicite.
Le patron du ministère de la Justice à Mexico, des membres de la police fédérale, l’ancien secrétaire à la Sécurité publique du Mexique, Genaro Garcia Luna (impliqué dans l’affaire Florence Cassez), Interpol et un adjoint du nouveau président mexicain depuis le 1er décembre dernier en auraient tous bénéficié.
El Chapo aurait versé 100 millions de dollars de pots-de-vin à l’ex-président Peña Nieto…!
C’est la première fois depuis le début du procès à New York en novembre qu’un témoin implique directement celui qui a cédé sa place à la tête du Mexique le 30 novembre à Andres Manuel Lopez Obrador, même si ces accusations avaient déjà filtré en novembre dernier via un avocat.
Ce sont des accusations explosives. Un témoin au procès a affirmé mardi que ce dernier avait versé à l’ex-président mexicain Enrique Pena Nieto des pots-de-vin ayant pu atteindre quelque 100 millions de dollars.
« M. Guzman a-t-il payé un pot-de-vin de 100 millions de dollars au président Pena Nieto ? », a demandé Jeffrey Lichtman, avocat de la défense, au témoin Alex Cifuentes. « C’est cela », a répondu ce dernier, cité par plusieurs journalistes présents à l’audience, même s’il a dit ensuite ne pas être sûr du montant exact.
Ce narcotrafiquant colombien, proche collaborateur de M. Guzman de 2007 jusqu’à son arrestation en novembre 2013, collabore désormais avec la justice américaine.
L’avocat confirmait ainsi publiquement un témoignage recueilli en janvier 2016 par les enquêteurs américains, auxquels il avait alors parlé de ce pot-de-vin. Selon lui, le Colombien leur avait dit à l’époque que le président Pena Nieto avait initialement exigé 250 millions de dollars mais qu’El Chapo avait abaissé ce montant à 100 millions.
En janvier 2016, Alex Cifuentes avait également indiqué aux autorités américaines qu’une femme identifiée comme Comadre Maria avait remis cette somme au président mexicain en octobre 2012, a poursuivi l’avocat.
S’appuyant sur des transcriptions d’interrogatoires en février 2016 de M. Cifuentes, l’avocat a affirmé que le Colombien avait aussi révélé que le cartel Beltran Leyva – rival du cartel de Sinaloa dirigé par El Chapo – avait versé des pots-de-vin à l’ex-président mexicain Felipe Calderon (2006-2012) pour qu’il les protège d’El Chapo.
Les deux présidents ont démenti vigoureusement les allégations, les qualifiant de «complètement fausses et diffamatoires».
À l’ouverture du procès, Jeffrey Lichtman, avait lancé un pavé dans la mare en affirmant que les présidents mexicains Enrique Pena Nieto et Felipe Calderon avaient touché plusieurs centaines de millions de dollars en pots-de-vin du cartel de Sinaloa.
L’accusation prévoit d’achever de citer des témoins le 23 janvier. La présentation de la défense devrait être beaucoup plus rapide et le procès, initialement prévu pour durer quatre mois, pourrait se terminer plus rapidement.