OPINION. Pourquoi les pouvoirs mexicains ont-ils lancé l’alerte si tard sur l’arrivée de l’ouragan Otis? Pourquoi l’aide est-elle si lente? Gabriela Sotomayor, correspondante mexicaine à l’ONU, pointe le manque d’anticipation et une gestion très politique.
Gabriela Sotomayor, correspondante à Genève de l’hebdomadaire mexicain Proceso
Le 25 octobre, l’ouragan Otis, de catégorie 5, a frappé la célèbre ville d’Acapulco, dans l’Etat de Guerrero au Mexique. Il a touché terre à 00h25 avec des vents dépassant les 270 km/h, laissant la ville la plus touristique du pays en ruine. Les habitants se sont réveillés dans un décor d’apocalypse, sans eau, sans nourriture, sans électricité, sans communications et sans abri. Les hôpitaux ont également subi les ravages d’Otis, certains patients sont morts dans leur lit. Environ 80% des habitations et des hôtels ont subi des dommages considérables. La plupart des commerces ont été touchés. Face à l’absence de gouvernance, le pillage est devenu monnaie courante. Les gens sont désespérés car l’aide tarde à arriver, la population est en colère, seule la loi de la jungle prévaut.
Bien que le port soit situé sur le Pacifique, sa population n’a pas de culture en matière d’ouragans. Ses habitants ne savent pas comment s’en protéger, même s’ils savent comment faire face aux tempêtes tropicales et se sont préparés en conséquence. Ils n’ont pas pris de précautions majeures en prévision d’Otis, principalement parce que le gouvernement ne les a pas avertis ni n’a lancé d’alertes sur la gravité du danger imminent. Les experts ne comprennent toujours pas comment Otis est passé de la catégorie 1 à la 5 en douze heures, ce qui est inhabituel pour de tels phénomènes. Les premières conclusions attribuent l’aggravation aux températures élevées de l’océan, c’est-à-dire au changement climatique.
Une alerte dysfonctionnelle
Le président Andrés Manuel Lopez Obrador (AMLO), un politicien populiste, alors qu’il avait connaissance de l’approche d’un ouragan sur les côtes d’Acapulco, n’a pas alerté la population en anticipant suffisamment, selon la chronologie qui concorde avec le National Hurricane Center (CNH) des Etats-Unis. A 7h, le 24 octobre, AMLO savait déjà que la tempête pourrait se transformer en ouragan. Lors de sa conférence de presse du matin, il n’a pas alerté la population. A 13h, les autorités savaient déjà qu’un ouragan approchait. Le président est resté silencieux. A 18h, le CNH a confirmé qu’Otis approchait, qu’il était passé en catégorie 5 et qu’il avait la force de causer une «catastrophe», mais AMLO n’a pas donné l’alerte, n’a pas envoyé de contingent de l’armée dans la zone pour assurer l’aide et l’ordre, n’a pas envoyé de vivres ni d’eau à la base navale ni à la base militaire d’Acapulco pour anticiper une possible pénurie. Ce n’est qu’à 20h qu’il a publié sur son compte X un «appel à être attentif» à la population au lieu d’un appel d’urgence. Il n’a pas ordonné la fermeture des activités. A 22h, les magasins et les restaurants étaient toujours ouverts et il y avait des gens dans la rue.
Cependant, dévastation et destruction ne sont pas le seul calvaire auquel ont été confrontées les millions de personnes vivant à Acapulco et dans ses faubourgs, où réside la population la plus vulnérable. Lors de sa conférence du 25 octobre, le lendemain, AMLO a déclaré que l’ouragan avait «frappé très fort». Il n’a pas donné de bilan préliminaire parce que «les communications étaient interrompues», comme si le chef d’une nation comme le Mexique ne disposait pas de communication par satellite avec le personnel de l’armée et de la marine.
Gestion politique de la crise
De plus, Lopez Obrador a décidé de bloquer l’aide humanitaire de diverses organisations, y compris les tonnes d’aide humanitaire prêtes à distribuer de la Croix-Rouge. Le 27 octrobre, Luis Cresencio Sandoval, le chef du Secrétariat de la défense nationale (Sedena), a informé que les vivres et autres produits «ne pourraient entrer dans la zone sinistrée que par le biais de véhicules militaires». L’année prochaine, il y aura des élections présidentielles au Mexique. Le président souhaite politiser l’aide humanitaire et que la population le remercie pour cette aide. Il est documenté que des membres de Morena, le parti au pouvoir, déballent des vivres et les remettent dans des boîtes portant le logo du gouvernement.
Cependant, les habitants de la zone affirment que «l’aide ne leur est pas parvenue, ils n’ont pas d’eau, de nourriture, d’électricité, le carburant s’épuise». Il y a un risque d’épidémie. Il n’y a pas de médicaments, les bébés n’ont ni lait ni couches. AMLO n’a pas demandé l’aide de l’Union européenne, des Etats-Unis ni de l’ONU. Jusqu’à présent, selon les chiffres officiels, 43 personnes sont décédées, et 10 sont portées disparues mais des journalistes affirment que des corps sont abandonnés dans les rues et sur les plages et des milliers de personnes recherchent leurs proches. Une catastrophe humanitaire est imminente. La réaction d’AMLO face à la tragédie relève de la négligence criminelle. Force à Acapulco.
Gabriela Sotomayor, correspondante à Genève de l’hebdomadaire mexicain Proceso