À 65 ans, Andrés Manuel López Obrador est enfin aux manettes ! Ce populiste de gauche, qui a suscité une vague d’espoir jamais vue dans un pays fatigué par la violence, joue profil bas face à Washington mais polarise le débat domestique. Un animal politique très inhabituel.
Un dossier présenté par Nicolas RAULINE.
Dès son arrivée au pouvoir, début décembre, après une période de transition de cinq mois, Amlo polarise le débat avec un style pas si éloigné de celui de Donald Trump. « La comparaison est frappante. La seule différence, c’est que les contre-pouvoirs fonctionnent bien aux Etats-Unis, ils sont plus fragiles au Mexique », juge Soledad Loaeza.
Fanatisme
Son premier dossier est un « symbole » à 5 milliards de dollars : il fait annuler la construction de l’aéroport de Texcoco, à Mexico, déjà avancé au quart. En plus des sommes englouties, il faut dédommager les entreprises. Ses adversaires raillent son ton lent, son incapacité à faire des phrases construites, ses monologues interminables. « Il n’est pas charismatique, c’est un mauvais orateur, mais il parle le langage des gens. Et il semble toujours en campagne, c’est ce qu’il adore, juge Rogelio Hernandez. Lors de ses meetings, on lui apporte des poules, on lui demande de soigner un enfant malade… »
Une popularité qui vire parfois au fanatisme mais qui donne une idée de l’espoir suscité. « Nous vivons une nouvelle ère, s’enthousiasme Fabrizio Mejia Madrid. Le Mexique est resté un pays de castes, profondément raciste. Amlo, c’est le Mexique du Sud, indien, celui que l’on ne voyait jamais, qui n’avait pas la parole. Ceux qui le critiquent aussi durement, ce sont ceux qui ne veulent pas perdre leurs privilèges. »
Méthodes autoritaires
Amlo a mis un nom sur ce changement : « la quatrième transformation ». La première fut celle de Miguel Hidalgo, le prêtre à l’origine du soulèvement contre les Espagnols, en 1810. La deuxième, celle de Benito Juárez, qui lutta contre les troupes de Napoléon III, de 1861 à 1867. La troisième fut la révolution mexicaine de 1910, celle de Villa et Zapata, initiée par Francisco Madero. « Nous voulons construire un modèle nouveau, qui ne soit pas néolibéral, proche des social-démocraties d’Europe du Nord », explique le porte-parole du gouvernement, Jesús Ramírez Cuevas.
Au nom du combat contre la corruption et pour la justice sociale , Amlo réduit les salaires des hauts fonctionnaires de 20 à 40%, n’hésite pas à paralyser l’industrie pétrolière en fermant les vannes des oléoducs car près de 10% de la production était détournée. Il fait garder, depuis, les raffineries par l’armée. Il envisage aussi un référendum de mi-mandat, pour asseoir sa majorité, ce qui pourrait lui permettre de modifier la constitution… Et de rester au pouvoir ? Ses méthodes autoritaires inquiètent.
« Il veut diriger le pays de manière directe, en court-circuitant, voire en vidant de leur sens toutes les autres institutions, qui avaient assuré le fonctionnement démocratique du pays jusqu’ici », affirme Soledad Loaeza. Amlo accuse les technocrates, la presse ou les conservateurs de défendre les intérêts de l’élite à laquelle il s’attaque… Tous réunis sous le terme « fifis », équivalent mexicain des « bobos ».
Il gouverne par décrets, annule la réforme de l’éducation de son prédécesseur, par un simple mémorandum… «Le Mexique n’est pas le Venezuela, mais López Obrador ressemble en tous points à Hugo Chávez », lance Marko Cortés, président du PAN, le principal parti d’opposition de centre-droit.
La criminalité, toujours en hausse
D’autres dénoncent un agenda complètement décousu, qui dépend de son humeur. Ce grand fan de baseball, qui fait paniquer son service de sécurité lorsqu’il sort à l’improviste assister à un match, a lancé un grand plan de promotion de son sport favori dans le pays. Coût total : près de 100 millions d’euros. Le bureau de son responsable a été installé… juste à côté de celui du président. Six mois après son accession au pouvoir, une majorité de Mexicains soutiennent encore son action et le mouvement Morena vient de gagner, début juin, les premières élections organisées depuis la présidentielle, dans les Etats de Puebla et de Basse-Californie.
Mais certains sont déjà déçus, face à la criminalité – à des niveaux record – ou la situation économique (le PIB a reculé de 0,2% au premier trimestre). « Il est encore trop tôt pour le juger, estime pour sa part Albert Zapanta, président de la Chambre de commerce américano-mexicaine. Il faut distinguer ce que dit un candidat et ce que fait un président. Et, pour le moment, je ne le vois pas se couper du secteur privé. »
Le temps presse, pourtant. Le nombre d’assassinats (8 493) a atteint un nouveau pic au premier trimestre, beaucoup étant liés au trafic de drogue. Les premiers signes de dissension apparaissent au sein du gouvernement. La ministre de l’Environnement a démissionné, après avoir exigé de retarder un vol d’Aeromexico pour pouvoir embarquer. Sans compter les bruits persistants sur les problèmes cardiaques du président, déjà victime d’un infarctus en 2013.