« La mort rôde autour de ma vie avec la même constance que je mets à enquêter et publier sur des faits de corruption. Je ne peux m’échapper de ce cercle. Je refuse de garder le silence. Ce silence serait le complice de la corruption, du crime et de l’impunité qui règne dans mon pays.
ENTRETIEN du Journal La Croix -Anabel Hernandez, journaliste pour le quotidien Reforma et le magazine Proceso, au Mexique.
En tant que journaliste mexicaine, j’ai enquêté et publié pendant plus de cinq ans des reportages sur la corruption et l’abus d’autorité de l’ex-secrétariat fédéral à la sécurité publique, dont le directeur était Genaro Garcia Luna, et de la redoutable police fédérale, la plus importante et puissante du Mexique. (Lire le dossier sur Florence Cassez ICI).
Durant ces années, j’ai découvert les liens profonds de complicité qui se sont tissés entre les principaux responsables policiers, les cartels de la drogue et les organisations pratiquant des d’enlèvements. J’ai aussi dénoncé leurs abus de pouvoir et leur pratique de la torture.
Face à mon travail d’investigation, le chef de ces policiers corrompus, Genaro Garcia Luna, a commencé à me harceler et à mener des actions contre mes informateurs, dont certains ont été incarcérés de manière arbitraire ; beaucoup ont été menacés. Ces policiers ont tenté de me diffamer, de me traquer. Une personne a même été torturée afin qu’elle livre de faux aveux contre moi.
En décembre 2010, j’ai été informée qu’ils recrutaient des policiers pour m’assassiner en représailles à mon travail journalistique. L’idée était de me tuer en simulant un accident de la route, un enlèvement ou un cambriolage. Depuis, je vis – si l’on peut appeler cela vivre – avec des gardes du corps vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
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Article du 3 septembre 2012 – La journaliste Mexicaine Anabel Hernandez reçoit la Plume d’or de la liberté 2012
L’Association mondiale des journaux et des éditeurs de médias d’information (WAN-IFRA) a remis son prix annuel pour la liberté de la presse, la Plume d’or de la liberté, à la journaliste mexicaine Anabel Hernández.
Anabel Hernández a été récompensée pour son courage et sa détermination à poursuivre ses reportages d’investigation révélant la corruption régnant dans les plus hauts milieux de la société mexicaine, qui ont mis sa vie en danger.
« Personnellement, cette récompense est comme une lueur qui brille sur mon obscur chemin, une lueur dans cette lutte solitaire et inique entre un journaliste et tous ces instruments et mécanismes favorisant la corruption », déclare Anabel Hernández lundi à Kiev en Ukraine en recevant ce prix pendant la cérémonie d’ouverture du 64e Congrès mondial des journaux et du 19e World Editors Forum.
De nos archives – 12 mars 2012
La Plume d’or de la liberté 2012 a été décernée à la journaliste et écrivaine mexicaine Anabel Hernandez, pour ses reportages d’investigation sur la corruption et les abus de pouvoir dans les milieux politiques mexicains, a annoncé jeudi l’association Wan-Ifra.
Cette association décerne annuellement depuis 1961 la Plume d’or de la liberté à une personne, un groupe ou une institution dont les actions ont défendu la liberté de la presse.
Anabel Hernandez a décidé de se tourner vers le journalisme d’investigation après l’enlèvement et l’assassinat de son père à Mexico en décembre 2000. A l’époque, les enquêteurs de police ont prévenu la famille qu’ils n’accepteraient d’enquêter sur le crime que moyennant finance.
Anabel Hernández, qui a travaillé pour divers quotidiens nationaux, dont Reforma, Milenio, El Universal et son supplément d’investigation La Revista (maintenant Eme-Equis), contribue actuellement au site d’information en ligne Reporte Indigo. Son dernier livre, Los Señores del Narco / The Drug Traffickers (2010), décrit en détail les complicités entre le crime organisé et les plus hautes autorités, des représentants du gouvernement aux officiers de police, aux responsables militaires ainsi qu’aux milieux économiques et financiers. Elle a reçu de nombreuses menaces de mort après la publication de son livre.
“Le silence nourrit la corruption”, a récemment déclaré la journaliste, interviewée par une chaîne mexicaine. “Si les journalistes de ma génération se taisent et cessent de faire leur travail par peur ou complicité, les journalistes qui leur succèderont seront condamnés à s’agenouiller devant cette corruption. J’espère que je resterai en vie et ne le verrai jamais”, a dit la journaliste.
Patrice Gouy, journaliste et correspondant de RFI au Mexique a joint Anabel Hernandez au téléphone qui lui a dit : ” Lo que me da mas gusto es que esto me dará la oportunidad de tener la exposición internacional para que la gente sepa lo que pasa en México y las condiciones de los periodistas.” ( Ce qui me fait plaisir est que tout cela me donnera l’opportunité de me retrouver exposée sur le plan international pour que l’opinion publique sache ce qui se passe au Mexique et connaisse la situation réelle des journalistes)
Lors de la remise du prix, le conseil d’administration de la WAN-IFRA en réunion à Dubaï a souligné : «Le Mexique est l’un des pays du monde les plus dangereux pour les journalistes où la violence et l’impunité continuent d’être des problèmes majeurs en termes de liberté de la presse. En décernant ce prix à Anabel Hernández, la WAN-IFRA récompense la fermeté dont elle a fait preuve au péril de sa vie à l’égard des cartels de la drogue. Son exemple contribue au développement d’un journalisme d’investigation de qualité et sans restriction dans la région.»
«Le prix est aussi un signal clair lancé au gouvernement mexicain lui montrant qu’il est de son devoir de créer un environnement dans lequel les citoyens peuvent exercer leur droit à la liberté d’expression sans craindre des violences. Il est clair que les autorités doivent redoubler d’effort pour protéger les journalistes et mettre fin à l’impunité dont jouissent ceux qui croient museler la liberté de la presse en assassinant des journalistes.»
Le Grand Journal du Mexique vous avait déjà présenté cette journaliste courageuse et motivée dans un article du 16 septembre 2011.
Anabel Hernández versus l’Etat du Mexique !
« Le Temps, quotidien généraliste francophone basé à Genève, a longuement interviewé la journaliste mexicaine Anabel Hernandez qui affirme avoir reçu des menaces de mort en représailles de ses dénonciations féroces et répétées des errements du gouvernement Calderón… L’occasion pour le journal Suisse de dresser le bilan de la situation catastrophique de la liberté de la presse au Mexique.
Pris entre les feux croisés du gouvernement et des narcos les journalistes craignent souvent pour leurs vies. Un plumitif régional interviewé par nos amis helvétiques résume la situation d’une manière glaçante: «Si tu dénonces la collusion entre les politiques et les narcotrafiquants, les menaces apparaissent; si tu enquêtes sur le blanchiment d’argent, c’est la mort certaine.» Ambiance.
A noter: une petite erreur de géographie s’est glissée dans le texte original: saurez-vous la retrouver?
Reportage de François Musseau.
Sa vie ne tient qu’à un fil, car cette journaliste a décidé de se battre contre un Etat en collusion avec le crime organisé. Mais elle continue à mener ses enquêtes. Et, avec elle, les Mexicains tiennent la preuve que leurs gouvernants ont pactisé avec le diable.
«S’ils parvenaient un jour à m’assassiner, je vous serais reconnaissante de ne pas déposer une couronne de fleurs sur ma tombe!» Ce jour-là, c’était le 3 mai, Anabel Hernández laisse libre cours à sa mordante ironie.
Le Sénat mexicain a organisé avec l’Unesco une conférence sur les dangers du métier de journaliste: on y rappelle qu’avec l’Irak et l’Afghanistan, ce pays est un des plus périlleux pour exercer la profession; des experts se chamaillent pour quantifier les reporters tués ou disparus; d’autres pérorent sur la supposée incompétence de certaines victimes…
Et c’est là, devant un parterre qui soudain fait silence, qu’Anabel Hernández explose: «Je me réjouis d’être la seule journaliste invitée ici, et m’excuse de ne pas encore faire partie de vos statistiques macabres! S’il vous reste de la décence, merci de nous soutenir, nous qui ne sommes pas encore morts, et dénonçons jour après jour la corruption de l’Etat. Ne vous en déplaise, je veux continuer à enquêter et aussi à vivre!»
Trois mois plus tard, surveillée par son escorte policière dans un café de Polanco (un quartier chic de Mexico, la capitale), Anabel Hernández ne dissimule pas sa nervosité en relatant cet épisode. «Ils voudraient qu’on soit invisibles, alors que je fais tout pour ne pas l’être!» Car cette petite brune à la quarantaine débordante d’énergie, menacée de mort, n’a que faire d’un anonymat fataliste et silencieux. «Le cauchemar qu’est devenue ma vie», pense-t-elle, doit être relaté pour «réveiller les consciences d’un pays gangrené jusqu’à la moelle par le crime organisé».
Son statut de journaliste célèbre, la plus coriace face au gouvernement Calderón, ne l’aveugle pas pour autant: elle se sait être un «simple échantillon» d’une profession où, dès qu’on fait usage d’une liberté de ton, la vie ne tient qu’à un fil. Un journaliste régional résume: «Si tu dénonces la collusion entre les politiques et les narcotrafiquants, les menaces apparaissent; si tu enquêtes sur le blanchiment d’argent, c’est la mort certaine.»
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