Henri Donnadieu, le Français qui a électrisé les nuits de Mexico

C’était l’un des doyens des entrepreneurs français au Mexique et un pionnier de la libération des moeurs à Mexico. Henri Donnadieu est décédé à Cuernavaca à l’âge de 82 ans. Il avait été un artisan de la contre-culture homosexuelle avec le « Nueve », bar mythique des nuits de la zona rosa dans les années 80.

Fotos: Javier Ríos

Bon d’accord, il vivait un peu à l’écart des « eventos » de l’ambassade de France ou de la Chambre de commerce. Et pourtant, Henri Donnadieu incarnait comme tant d’autres la profondeur de l’enracinement français au Mexique. Professeur de droit romain en Australie, clerc de notaire puis entrepreneur en Nouvelle Calédonie, le natif de la Côte d’Azur avait posé ses valises fin 1976 à Mexico. « Cinq semaines plus tard, le 23 janvier 1977, j’ouvrais le disco-bar le Nueve, un lieu gay », racontait-il il y a quelques années sur RFI en espagnol.

Londres 156: en pleine Zona Rosa, le « Nueve » défie les autorités de l’époque, qui venaient d’écraser dans le sang deux mouvements étudiants (Tlatelolco 1968 et l’Halconazo de juin 1971). Le pouvoir avait même le rock national dans le colimateur après le festival d’Avándaro -le Woodstock mexicain- en 1971. « J’ai découvert une réalité dont je ne m’étais pas rendu compte quand je venais en touriste. Il y avait beaucoup de répression contre la jeunesse, et encore plus de répression contre les homosexuels. Pourquoi n’ont-ils pas fermé le Nueve? Peut-être parce qu’il y avait un Français qui avait osé ouvrir un tel endroit ».

En revanche, les autorités ont lancé une violente « redada » (descente policière) pour fermer le « Nueve » d’Acapulco en 1979, l’année de la première visite du pape Jean-Paul II au Mexique. « Mes socios ont été mis en prison. J’ai mis un an et demi à tous les sortir de la. Moi, je n’avais qu’un visa de touriste ». Le promoteur culturel affirme qu’à cette époque il était lui-même sous le coup d’une peine de prison en France où il avait été condamné pour « faillite frauduleuse ».

A Mexico, le « Nueve » a électrisé les nuits de la Zona rosa jusqu’à sa fermeture en décembre 1989. Le Français raconte qu’il voyageait à New York, Berlin et Londres pour ramener la meilleure musique de l’époque. “De fait ce que l’on écoutait dans le bar s’écoutait six mois plus tard partout ailleurs. Nous avons été très novateurs ».

Les premières années, le « Nueve » est une adresse exclusivement gay. Son propriétaire affirme avoir reçu dans le plus grand secret « les noms les plus ronflants du pays. Mariés, mais gay. Ils venaient la peur au ventre ». Au fil du temps, l’endroit devient plus inclusif, et reçoit des célébrités mexicaines et étrangères (Juan Gabriel, Silvia Pinel, Sylvester Stallone, Sean Connery…d’après les nombreux articles de presse publiés à la mort de Donnadieu). L’ex-président mexicain Ernesto Zedillo (1994-2000) aurait même confié au Français avoir franchi à l’occasion la porte de son établissement dans les années 80 (témoignage de Donnadieu).

La fête et le drame: les années « Nueve » correspondent à la décennie de l’essor du SIDA, à Mexico comme ailleurs. « Une peste terrible. Beaucoup d’amis sont morts. On s’écartait de toi parce que tu étais gay », a témoigné Donnadieu, qui fut un pionnier de la lutte contre le VIH d’après les hommages qui lui ont été rendus à sa mort.

Le « Nueve » a marqué une époque, de l’avis des meilleurs connaisseurs de la scène culturelle chilanga. Le dancing a inspiré un livre (« Tengo que morir todas las noche » de Guillermo Osorno), adapté au cinéma. Donnadieu lui-même avait raconté sa vie et l’épopée de la zona rosa dans une autobiographie, « La noche soy yo ». Les hommages ont été nombreux à la mort de ce « pionnier de la liberté » selon le compte X la Coordination de diffusion culturelle de l’UNAM. Aucun message officiel en revanche, ni de la France, ni du Mexique…Underground un jour, underground toujours.