La violence au Mexique a encore de beaux jours devant elle. Cette maladie mexicaine, toujours sans remède, ne se résorbe pas face au Covid-19 qui met peu à peu la planète à genoux. Les experts sont formels: même une éventuelle baisse ponctuelle ne signifierait en rien que le mal diminue en intensité.
Le Mexique a connu dimanche sa journée la plus violente depuis le début de l’année avec 105 assassinats, en dépit du confinement de la population décrétée pour lutter contre le coronavirus, selon des chiffres officiels rendus publics lundi. Le précédent « record » de violence datait du 4 avril avec 104 meurtres en 24 heures.
Depuis les mesures de confinement de la population prises au Mexique à la mi-mars, la violence n’a pas cessé dans ce pays qui a enregistré quelque 34 608 assassinats l’an dernier, un chiffre record depuis 1997.
« Nous nous occupons du coronavirus, mais malheureusement nous sommes confrontés au problème des homicides », a regretté lundi le président mexicain Andrés Manuel López Obrador.
Pourtant, dans les agglomérations mexicaines, y compris Mexico, la capitale, les rues ont commencé à se vider, l’activité sociale est en chute libre et les gens sont de plus en plus nombreux à s’isoler.
Si le gouvernement venait à rendre obligatoire le confinement, le pays, qui a connu en 2019 son année la plus violente avec 35.588 homicides et féminicides, selon des chiffres officiels, pourrait connaître une accalmie.
Mais pour Alejandro Hope, expert en matière de criminalité, elle ne pourra être que temporaire et les perspectives restent sombres. « D’autant que jusqu’à présent, la violence n’est pas en baisse. Les données de février et mars suggèrent même que nous serions plus ou moins au niveau de 2019, peut-être pire », explique-t-il.
Le Mexique a enregistré 5.751 meurtres au cours des deux premiers mois de l’année, dont 2.858 commis en février, selon les données du Secrétariat exécutif du Système national de sécurité publique (SESNSP).
Le SESNSP observe qu’en février, une baisse de 1,8% des homicides volontaires s’est produite, mais les fémicides ont en revanche augmenté de 24%.
« Une mise en quarantaine, avec des mesures de restriction radicales, entraînerait moins de présence dans les rues, et donc moins de cambriolages, probablement moins d’homicides. Mais lorsque le confinement cessera, la violence reviendra sans aucun doute », déplore M. Hope.
-Le Mexique vote une loi d’amnistie pour éviter la contagion dans les prisons-
Le Sénat mexicain a approuvé lundi une loi d’amnistie visant à libérer certains détenus non récidivistes, condamnés pour des délits mineurs, afin d’éviter la contagion de l’épidémie de coronavirus dans les prisons.
Cette loi, déjà approuvée par la Chambre des députés, accorde une amnistie aux détenus condamnés pour la première fois pour des délits mineurs, commis sans armes à feu. Elle exclut les condamnés pour homicide, enlèvement ou trafic d’êtres humains. Aucune indication n’a été donnée sur le nombre de détenus qui pourront en bénéficier.
Pour Catalina Pérez Correa, docteur en droit de l’Université de Stanford en Californie, il ne fait pas de doute que le confinement aura une incidence sur le niveau de violence dans les rues.
« Mais que se passera-t-il le lendemain », s’interroge-t-elle, « s’il y a un plus grand nombre de chômeurs du fait de la récession économique? » « Quelles mesures le gouvernement prendra-t-il contre la violence lorsque nous surmonterons cet épisode sanitaire ? », ajoute Mme Pérez Correa.
Face au coronavirus, des répercussions graves sur l’économie mexicaine, la deuxième d’Amérique latine après le Brésil, pourraient avoir des effets pires que la pandémie: une terrible flambée de violence. Le peso mexicain a dépassé cette semaine un taux de 25 pour un dollar, tandis que le marché boursier s’effrite régulièrement dans un contexte d’incertitude persistante.
« Le chômage augmentera de façon exponentielle car les entreprises vont réduire leurs effectifs, il y aura des ajustements », prévoit Enrique Rodriguez, avocat et consultant politique. « La tension économique à laquelle nous serons alors confrontés entraînera irrémédiablement une augmentation de la criminalité, davantage de vols, d’homicides. C’est malheureusement un phénomène que nous connaissons bien ici », met-il en garde.
– Femmes en « détention » –
L’Institut national gouvernemental pour les femmes (Inmujeres) et ONU Femmes prédisent aussi que les tensions dans les foyers augmenteront et, par conséquent, le risque de violence domestique.
« Avant la crise sanitaire, les marches féministes exigeant la fin des violences basées sur le genre constituaient le rassemblement social le plus répandu au Mexique. A cause du confinement, les femmes sont désormais en détention prolongée, dans des conditions que nous ne connaissons pas », appréhende Mme Pérez Correa.
Le 8 mars, des Mexicains avaient marché à l’occasion de la Journée internationale de la femme. Une grève nationale avait été organisée le lendemain pour exiger l’arrêt des féminicides, qui en 2019 totalisaient 1.006 cas, selon des chiffres officiels, jugés en deçà de la réalité par les spécialistes.
« Le gouvernement doit penser à des abris dignes de ce nom, avec des conditions d’accueil favorables », estime Maria de la Luz Estrada, coordinatrice de l’Observatoire national citoyen des féminicides au Mexique.
En dépit de la complexité de la situation créée par le nouveau coronavirus, Enrique Rodriguez reste optimiste. « Je vois poindre à l’horizon, une société beaucoup plus raisonnable face à un gouvernement de plus en plus dépassé », avance l’avocat.
Source – Agences