Le gouvernement mexicain « regrette » la décision d’Ottawa de réimposer un visa à ses ressortissants afin de freiner le flux de demandeurs d’asile. Dans une déclaration en espagnol publiée jeudi, le ministère des Affaires étrangères du Mexique a indiqué « qu’il y avait d’autres options avant de mettre en oeuvre cette mesure » et que le pays se réservait le droit « d’agir de manière réciproque ».
Le ministre fédéral de l’Immigration, Marc Miller, a confirmé jeudi matin que le Canada remettait en place l’obligation de visa pour les ressortissants mexicains afin de freiner la hausse importante du nombre de demandes d’asile observée depuis sa levée, en 2016.
La mesure entrera en vigueur jeudi à 23 h 30, et ne s’appliquera qu’à environ 40 % des voyageurs se rendant annuellement au Canada. Les ressortissants ayant déjà obtenu un visa au Canada dans les 10 dernières années seront exemptés de cette mesure, de même que les Mexicains venus étudier ou travailler au pays. Ils devront néanmoins obtenir une autorisation de voyage électronique.
Une chance donnée au Mexique
Le ministre Miller a admis jeudi matin que le gouvernement mexicain était « mécontent » de cette décision. Il ne craint toutefois pas qu’elle ait des répercussions sur les échanges commerciaux. « Le Mexique est un pays souverain qui a le droit [de] prendre les mesures qui lui plai[sent]. Ceci dit […], je n’ai pas eu d’indication, quand j’ai parlé à la ministre des Affaires étrangères, qu’il y aurait des mesures commerciales », a-t-il noté en point de presse à Ottawa.
Des échanges sur la « croissance exponentielle » du nombre de demandeurs d’asile mexicains avaient lieu en coulisses depuis plusieurs mois, mais aucune solution satisfaisante n’a été trouvée pour empêcher la réimposition du visa, a indiqué le ministre Miller. « Nous devions donner une chance au Mexique, en raison de notre amitié, pour rectifier les choses. Il est clair que cela n’a pas été fait à temps. Les mesures proposées [par le Mexique] n’auraient pas pu être mises en place à temps pour réellement endiguer le flux de demandeurs. »
Le Parti conservateur du Canada et le Bloc québécois réclamaient l’imposition de cette mesure pour « empêcher d’autres abus » du système d’asile. Seul le Nouveau Parti démocratique s’opposait à cette demande, indiquant que cette réintroduction ne ferait que stigmatiser d’autres immigrants mexicains. « [Le premier ministre] n’aurait jamais dû faire cette erreur. Et aujourd’hui, les Canadiens en paient le prix », a lancé le chef conservateur, Pierre Poilievre, jeudi, ajoutant que le Québec avait atteint un point de rupture dans sa capacité d’accueil et d’intégration.
Le gouvernement de Justin Trudeau avait mis fin à l’exigence de visa pour les ressortissants mexicains en décembre 2016. Le premier ministre avait promis en campagne électorale d’annuler cette mesure instaurée en 2009 par le gouvernement conservateur de Stephen Harper.
Québec réclame davantage
François Legault et sa ministre de l’Immigration, Christine Fréchette, ont tous deux salué la décision d’Ottawa. Mais ils réitèrent que plus de mesures seront nécessaires.
« Le gouvernement fédéral pose un bon geste. Mais que fait-on avec les 528 000 immigrants temporaires, puis les 160 000 demandeurs d’asile qu’on a actuellement ? Il va falloir une réaction beaucoup plus grande », a affirmé jeudi le premier ministre du Québec, lors d’un point de presse à Morin-Heights. « C’est une étape importante qui vient d’être franchie, mais ça ne réglera pas tout. Le nombre de demandeurs d’asile accueillis par le Québec est beaucoup trop élevé et nos services sont saturés. Le fédéral doit répartir les demandeurs d’asile dans l’ensemble du Canada », a précisé la ministre Fréchette.
Cette dernière se félicite également d’avoir fait pression sur le fédéral, avançant que « cette annonce est la preuve que le Québec arrive à se faire entendre à Ottawa ».
Dans une lettre envoyée à Justin Trudeau en début d’année, le premier ministre Legault avait exhorté son homologue fédéral à freiner l’afflux de demandeurs d’asile au Québec, sans quoi la province atteindrait un « point de rupture ». Le nombre de demandeurs d’asile venant du Mexique est passé de 260 en 2016 à 22 405 en 2023 (en date de novembre).
Le ministre Miller reconnaît que les pressions du Québec et de l’Ontario, les deux provinces accueillant le plus de demandeurs d’asile, ont « joué un rôle important » dans la décision de réimposer le visa. « On constate nous-mêmes qu’il y a des flux inacceptables et [que] les taux d’acceptation [sont trop bas]. On voit que les ressortissants mexicains retirent leur application, partent ou n’ont pas de succès… Cela pèse dans la décision », a-t-il précisé.
Le nombre de demandeurs d’asile en provenance du Mexique a explosé dans les dernières années, ces derniers représentant 17 % de tous les demandeurs d’asile en 2023. Et le taux d’acceptation des demandes d’asile mexicaines se situe « dans les 30 %, 40 % », alors qu’il est de « 80 %, 90 % » pour celles faites par des Colombiens, a fait valoir M. Miller.
Québec réclame plus d’un milliard de dollars au gouvernement fédéral en compensation des dépenses engagées dans l’accueil des demandeurs d’asile dans les trois dernières années.
Une décision en évolution
Questionné sur la durée de la mesure annoncée jeudi, le ministre Miller a précisé que cette réintroduction du visa pourrait être revue à terme. « Pour l’instant, c’est une discussion qui évolue. Je ne veux pas dire que cette mesure est permanente : on pourrait la réviser. Mais ça prendrait un déclin significatif et des mesures au Mexique pour enrayer les facteurs qui font que les gens viennent ici de façon illicite. »
Ottawa n’écarte pas non plus la possibilité d’imposer des mesures similaires à d’autres pays dont les ressortissants déposent des demandes d’asile en grand nombre au Canada, comme le Nigeria, l’Inde ou Haïti. Par contre, « les taux de réussite [pour ces pays] sont très hauts. Ce sont des gens qui fuient la guerre et l’oppression. Les ajustements qu’on ferait ne doivent pas avoir de préjudice sur leurs droits, donc les mesures ne seraient pas aussi [importantes] que celle annoncée aujourd’hui », a expliqué le ministre Miller.
De son côté, le premier ministre québécois n’a pas voulu s’avancer sur cette possibilité. « Il y avait un problème spécifique avec les Mexicains. Mais il faut réduire le nombre de demandeurs d’asile, donc rien n’est exclu », a dit François Legault.
Le Québec estime accueillir 55 % des demandeurs d’asile qui arrivent au Canada. Mais le quart d’entre eux quitteraient la province, spécifie de son côté le gouvernement fédéral.
Source – https://www.ledevoir.com/