« Dia de muertos » au Mexique – Une fête issue du métissage (Dossier-Video)

El dia de muertos est un de ces rituels que l’on perpétue de nos jours au Mexique. Mais la culture de ce pays est à l’image de ses habitants, métissée. Ainsi,  « le jour des morts » , comme tout l’imaginaire mexicain, résulte de l’acculturation entre les croyances des peuples indigènes pré hispaniques et celles de l’Espagne du XVIème siècle.

Les traditions au temps des Aztèques

Les contemporains de Moctezuma (dernier empereur Aztèque, installé dans la région de Mexico) avaient pour habitude de venir, plusieurs fois par an, sur les tombes de leurs morts. Durant ces rites funéraires, la famille du mort dansait et chantait le chant des morts.

La famille laissait des offrandes afin de pourvoir aux besoins du défunt dans l’au-delà : ils brûlaient des vêtements, des armes, des ornements en papier, des parfums,… Ils pensaient que les circonstances de la mort définissaient le paradis auquel accéderait le défunt.

Ainsi, les guerriers morts au combat ou sacrifiés devenaient des quauhteca,  « gens de l’aigle  » , des compagnons du soleil. Ils l’accompagnaient de son levé, jusqu’au zénith, en brandissant leurs glaives et leurs boucliers tout en chantant des chants de guerre. Après quatre années de compagnonnage avec le soleil, ils se réincarnaient dans le corps d’oiseaux-mouches et volaient éternellement de fleurs en fleurs dans les jardins tropicaux.

Pour l’autre moitié de son cycle diurne, le soleil avait pour compagnie les femmes mortes en couche. C’est pourquoi, la première moitié du jour (lorsque le soleil va de l’orient au zénith) est le côté masculin du soleil et, l’autre moitié de la journée (du zénith à l’occident) est le côté féminin.

Dans le même ordre d’idées, il existait un paradis pour les paysans sédentaires. Toutefois, tous n’y accédaient pas. Ils étaient choisis par Tlaloc (dieu de la pluie) : il les faisait mourir soit en les noyant, en les frappant de la foudre, soit en leur envoyant une maladie telle que l’hydropisie ou certaines maladies de peau, la lèpre,… Lorsque Tlaloc rappelait auprès de lui ses fidèles, ceux-ci avaient la chance de pouvoir se prélasser une éternité au Tlalocan, jardin magnifique et protecteur situé à l’Est. Le Tlalocan, d’après Jacques Soustelle est  « l’image idéalisée de la nature tropicale : verdure luxuriante, fleurs, pluie tiède, abondance sans travail » .

Mais pour la grande majorité, les morts ne connaissaient pas ces deux paradis. Après leur vie physique, ils entreprenaient un long et difficile voyage dans l’infra monde ou monde souterrain, pour gagner Mictlan. Les Aztèques se le représentaient comme une vaste région froide et ténébreuse. Elle est située au Nord, sous les régions que leurs ancêtres nomades avaient traversées avant d’arriver à Tenochtitlan. D’après Soustelle toujours,  « sur ce pays de ténèbres régnait le dieu de la mort, Mictlantecuhtli, au visage de squelette, entouré de sa femme, Mictecaciuatl et de ses animaux de compagnie : la chouette et le scolopendre » .

Ils pensaient également que les âmes des bébés suivaient Xochataplan ou Chichihualcuauhco, représentés par un arbre nourricier.

La mort pour les Aztèques, lorsqu’elle n’était pas foudroyante due à Tlaloc ou survenue sur le champs de bataille, lors d’un rite ou en couche pour les femmes, était un royaume terrifiant et froid dans lequel il fallait apporter régulièrement des offrandes pour son seigneur Mictlantecuhtli. C’est pourquoi, les défunts étaient incinérés (ou enterrés) avec des vêtements aussi riches que leur statut social le leur permettait, différentes offrandes pour le seigneur de ce royaume ainsi qu’un ou plusieurs chiens de garde qui devaient les aider à y accéder sans encombre.

Ici, nous n’avons parlé que des Aztèques, mais dans d’autres villes que Mexico, les influences pré-hispaniques peuvent être Maya, Toltèques,…

Les Espagnols aussi fêtent leurs morts

Cortes et les prêtres évangélistes, apportèrent avec eux la culture de l’Espagne de la Sainte Inquisition. Les espagnols avaient pour coutume de venir, pour la Toussaint, dans les cimetières pour y déposer du pain, du vin et des fleurs. A Salamanque et à Léon, ils donnaient aux pauvres le pain des morts, à Ségovie ils préparaient le  « pan de animas » pour les âmes du purgatoire.

Les espagnols s’accordaient à penser que les âmes parcouraient la Terre et flottaient autour d’eux. Tous craignaient qu’elles ne s’abattent sur leurs lits pour les emporter avec elles. C’est pourquoi, ils préparaient des autels avec du vin et du pain pour les apaiser. Ils allumaient des cierges pour les guider jusqu’à l’autel. Rassasiées, les âmes n’importunaient pas les vivants et retournaient dans leur sphère éthérique sans mauvaises pensées ni rancunes pour ceux qui restaient.

Un calendrier qui réunit tout le monde

De nos jours, la fête des morts se célèbre dans tout le pays du 31 octobre au 2 novembre. Pourquoi 3 jours ? Les Aztèques pratiquaient deux fêtes différentes pour leurs morts. L’une pour les enfants, la petite (Miccaihuitontli) et l’autre pour les adultes, la grande (Hueymiccalhuitl). La petite était célébrée 20 jours avant la grande. Les catholiques célébraient et célèbrent toujours la Toussaint le 1er novembre.

Comme le hasard fait bien les choses, le calendrier Aztèque coïncidait avec le calendrier catholique sur ce point : le jour de la Toussaint tombait juste entre les deux fêtes Aztèques. C’est pourquoi, le rituel mexicain se déroule sur ces 3 jours.

Lors de cette période, il est dit que les âmes des défunts (fieles defuntos) reviennent suivant un certain ordre sur Terre pour visiter leurs proches. Comme chaque jour, des âmes différentes reviennent, il convient de leur donner les offrandes appropriées.

Ainsi, les personnes mortes durant le mois précédent el dia de los muertos ne reçoivent pas d’offrande car ils n’ont pas le temps de demander la permission de revenir sur Terre. De même pour ceux qui meurent le jour de la fête : ils sont sur le chemin, guidés par les âmes des morts du mois dernier.

– Le 30 octobre, on offre des fleurs blanches et des cierges pour les enfants morts avant d’avoir été baptisés. Ces derniers sont attirés dans les limbes.

– Le 31 octobre, sont installées les offrandes des chiquitos ou angelots : des fleurs bleues, des jouets, des petits pains, des cierges et des assiettes de bonbons. A midi, les cloches sonnent pour indiquer leur venue.

– Le 1er novembre, à la même heure, les cloches sonnent de nouveau pour indiquer l’arrivée des adultes.

Des offrandes et des aliments pour recevoir les défunts

Dans chaque maison, un autel est dédié aux défunts qui viendront visiter la famille. On y trouve rangé sur un napperon de papier coloré dans lequel des images de squelettes sont découpées : du copal dans son encensoir, des fleurs porte-bonheur, des cierges allumés, des photos les représentant de leur vivant, des têtes de mort en sucre ou en chocolat symbolisant leur état actuel, des fruits, le pain des morts, des bonbons, un plat avec du poulet ou de la dinde, des pâtés de viande et de farine de maïs, du xochitl (une boisson alcoolisée) et une coupelle d’eau bénite ainsi que diverses offrandes particulières propres au mort (tabac, poterie d’animaux,…).

Pour guider les âmes, on fait un chemin de pétales de fleurs portes bonheur de la rue jusqu’à l’autel. Le copal est placé et brûlé dans son encensoir et on récite des prières. On nous dit que dans plusieurs villages, la personne qui récite ces prières est accompagnée de musiciens et qu’avec eux, ils vont de maison en maison jouer des chansons joyeuses le jour des enfants et des chansons plus sombres le jour des adultes.

La nuit du 1er au 2 novembre (pour la venue des adultes), certaines personnes font des feux devant leurs maisons. Ces feux ont pour fonction d’attirer les morts amis dans la maison et d’effrayer les autres esprits. Sinon, les familles se rendent dans les cimetières et font des offrandes, mangent, boivent, écoutent de la musique…

On dit qu’après la venue des morts, les aliments n’ont plus de goût, on partage alors les offrandes entre la famille et les amis avec qui se termine la fête.

« El Dia de los muertos » est donc aujourd’hui une tradition métissée

Ainsi donc, ne serait-ce qu’avec la constitution de l’autel, nous voyons comment les apports de deux cultures n’en font plus qu’une : les cierges, les fleurs et les offrandes alimentaires espagnoles (pain des morts, oranges, canne à sucre, eau bénite) pour attirer et rassasier le mort. Et pour le côté pré-hispanique, la tequila, le crâne du mort symbolisé par une sucrerie, le papier coloré, le copal instrument indispensable à la venue des esprits et les offrandes plus personnelles tels que le tabac ou l’animal, visant à soutenir le mort dans le royaume de Mictlantecuhtli.

Autre trait hérité des cultures pré-hispaniques : les représentations de la mort . Elles sont omniprésentes pendant cette période.

Elles commencent à fleurir à peu près un mois avant les trois jours de fête. De partout l’on peut voir des squelettes : dans les commerces ou dans la rue, à la télévision ou dans les journaux (calaveras). Ces calaveras (têtes de morts) sont des commentaires ou de petits poèmes satyriques sur plusieurs thèmes : religion, politique, mort,… Ces calaveras ont pour but (et avaient déjà pour les peuples pré-hispaniques) de présenter la société de manière satyrique. Après ces 3 jours de défoulement, où l’on a le droit de tout dire, la rigueur revient…!

Une autre culture vient également se greffer à cette fête. Le calendrier fait coïncider, une fois encore, l’arrivée des âmes des enfants avec la fête d’Halloween. C’est pourquoi, le 31 octobre, on rencontre dans les rues des enfants déguisés en Dracula, momies et autres morts vivants, tenant une citrouille dans laquelle ils récoltent leurs calaveras. Lorsque les enfants demandent  » calaveras  » aux adultes, ils attendent d’eux qu’ils leur donnent des sucreries ou de la petite monnaie.

La mort ne laisse personne indifférent

La mort, puit insondable de ténèbres, fascine ou terrifie mais ne laisse personne indifférent, car nul ne résiste à son passage implacable.

Les mexicains, face à cette donnée biologique réinventent un rituel morbide en mélangeant croyances indigènes, européennes et américaines afin de l’accepter, de l’assumer.

Ils vivent au quotidien avec la mort et ils la représentent avec une certaine ironie : chansons légères, expressions imagées allant même jusqu’à plaisanter sur les épitaphes des tombes. De cette façon, ils parviennent à déssatanniser ce passage obligatoire dans l’au-delà, auquel chacun de nous sera confronté un jour ou l’autre. Cette manière de voir la mort, teintée en surface d’ironie et de légèreté, est une bonne alternative à la façon française de la voir.

Au Mexique, il existe encore ces grandes fêtes, ces grands événements qui rythment la vie de son peuple.  El día de los muertos est un de ces rituels, produit de la rencontre entre traditions pré-hispaniques et européennes, capable d’unir un pays autour d’un thème aussi philosophique, morbide et romantique que peut l’être la mort et ce dans une ambiance chaleureuse et festive.

La rédaction – Alain Figadère – (www.legrandjournal.com.mx)

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