Papamobile, le chemin de croix d’une comédie tournée au Mexique

Mexique et cinéma français, la malédiction? Après Emilia Perez (étrillé et détesté au Mexique), Papamobile avec Kad Merad à l’affiche a été lâché et lynché avant même sa sortie en France par son distributeur…et son propre producteur. Le réalisateur Sylvain Estibal veut croire que le bad buzz va susciter la curiosité du public. Retour sur l’histoire déjantée d’un pape français enlevé par les narcos – et sur les péripéties de sa sortie en France, déjà culte.

Kad Merad et Myriam Tekaïa sur le tournage de Papamobile à Mexico en août 2023 (DR)

En août 2023, Sylvain Estibal tournait en 24 jours Papamobile dans un ranch de l’Edomex, les jardin de Los Pinos et les rues d’Ecatepec. Apparemment ravi de son escapade mexicaine, Kad Merad enfilait la soutane de Barnabé VI, pape français enlevé par des narcos. L’acteur consacré par « Bienvenu chez les Ch’tis » et le « Baron noir » acceptait de convertir son cachet en participation au budget de production. Et profitait de son passage à Mexico pour parler de son film Le triomphe au public de l’Institut français (IFAL).

En soi, le tournage s’apparentait déjà à un petit miracle de persévérance. La genèse du scénario avait commencé en février 2016. Le réalisateur, également journaliste, couvre alors pour l’Agence France-Presse la visite du -vrai- pape Francisco au Mexique. « Quand on a vu que son voyage passait par Ciudad Juarez, on a imaginé qu’il se faisait enlever au milieu d’une guerre des cartels ».

Un petit budget laminé par le « super-peso »

Auréolé d’un César du premier film pour le « Cochon de Gaza » (2012), Sylvain voit grand. « On imaginait tourner les scènes du Vatican à Rome, à Cinecitta, où il y a des décors à l’identique. Et puis on a très vite vu qu’on aurait pas le budget. On s’est entièrement replié sur le Mexique. Il a fallu trouver le Vatican à Mexico… ». Ce sera les anciennes résidences présidentielles de Los Pinos, avec la gracieuse autorisation du secrétariat (ministère) fédéral de la Culture. « C’est la première fois qu’un film était tourné dans le bureau d’un ancien président mexicain ».

De problème de financement en manque de budget, « Papamobile » a failli ne jamais exister, même pré-acheté par Amazon. « Avant le tournage, le producteur a fait une réunion de crise, en disant: je n’ai pas les moyens; soit on arrête, soit on fait avec ce que l’on a. On y est allé sans argent. Kad a joué le jeu, comme Myriam Tekaïa, l’actrice principale ». De surcroît, le petit budget du film (1,2 million d’euros) a été laminé par le taux de change en vigueur au moment du tournage (c’était l’époque du super-peso, quand un euro ne s’échangeait qu’à 18 pesos, contre près de 22 actuellement). Autre mauvaise surprise: le coût de la location du ranch entre Mexico et Toluca s’est envolé…

Kad Merad au volant de la Papamobile dans les jardins de Los Pinos le 27 août 2023 @ST

Faute de moyens, dix pages du scénario ont été retirées une semaine avant le tournage. « On a tourné l’enlèvement du pape en une-demi journée à Ecatepec, alors que normalement une scène comme ça prend trois jours. En plus, dans une rue qu’il fallait ouvrir à la circulation toutes les 20 minutes… ».

Sortie technique

Pour couronner le tout, Papamobile sort en salle le 13 août, dans le désert de l’été. Et dans sept salles seulement, parce que le distributeur (Joker) a publiquement fait savoir qu’il ne voulait pas investir dans les affiches ni les copies. « Le montage définitif s’est révélé décevant pour tous, pas seulement pour nous, et pas à la hauteur du scénario, du réalisateur, de ses acteurs et des promesses associées », a expliqué la distributrice Violaine Barbaroux à Télérama. Et le producteur Jean Bréhat a crucifié sa propre Papamobile dans le Canard Enchaîné: « Eh oui j’avoue, c’est raté. C’est une comédie pas drôle selon la plupart de ceux qui l’ont vue. Ca arrive dans le métier ».

La presse s’empare de l’histoire de la « sortie technique » dans sept salles loin des grandes métropoles qui plus est (Avignon, Bagnoles-de-l’Orne, Saverne, Douvaine, Évian-les-Bains et Romans-sur-Isère). « Sortie de route », « comédie en roue libre » (Télérama), « Le pape Kad se prend une gamelle » (Le Canard), et même « Comment le pruneau d’Agen s’est retrouvé dans le navet de l’année  » (La Dépêche du midi, évidemment).

Papamobile, la bande-annonce

Le « nanar » de la Rédemption

Lâché par la « grande famille » du cinéma -et celle de ses collègues journalistes-, Sylvain Estibal défend son travail. Non le film n’a pas coûté 2,9 millions d’euros, comme l’a dit le producteur. « Mon salaire de réalisateur ainsi que celui de l’actrice principale ont également été mis en participation pour que le projet puisse aboutir », précise-t-il dans un droit de réponse au producteur.

Dimanche dernier, Sylvain retrouve le sourire. Le film est désormais programmé dans une trentaine de salles. « C’est finalement de positif après ce déluge de critiques et de bashing. Il y a un intérêt grandissant pour le film ».

La bande-annonce se moque de « la meilleure comédie ratée de l’année » ou d’un nanar potentiellement culte. Les articles de presse gagnent en bienveillance au fil des jours. Paris-Match fait le voyage de Bagnoles-de-l’Orne pour voir le film dont tout le monde parlait et que personne ne pouvait voir. France-Info publie une enquête sur les péripéties du making-off. Un journaliste sur BFMTV-RMC est sûr que Papamobile a tout pour devenir culte.

Le réalisateur assume le manque de moyens et une comédie en décalage avec les codes et les formats habituels. « Il y a des moments un peu surréalistes. C’est un peu le surréalisme mexicain qui m’a inspiré en fait. Il y a des scènes qui sont totalement sorties de nulle part. C’est l’antithèse du film d’action normal ».

Peut-être salutaire pour éviter le formatage et préserver la ciné-diversité? Ici au Mexique dans son pays d’inspiration, les spectateurs devront attendre la sortie du film sur les plate-formes Amazon et OCS en 2026 pour se faire une idée. Avec un nouveau scandale à la Emilia Perez contre ces réalisateurs français qui tournent en dérision les violences du Mexique? De toute façon, la Papapamobile est déjà blindée.