Le nombre de migrants disparus au Mexique augmente parce qu’ils sont contraints d’emprunter des routes clandestines où ils sont à risque d’être agressés et même tués par le crime organisé, s’inquiètent des organisations sociales et civiles. Interview avec Carolina Jiménez, directrice adjointe des recherches d’Amnistie internationale.
Des signaux d’alarme ont été lancés par des organisations non gouvernementales (ONG) en raison des conditions difficiles subies par des milliers de migrants d’Amérique centrale qui tentent de se rendre aux États-Unis.
Un peu plus de 400 000 personnes traversent chaque année le Mexique à la recherche de meilleures conditions de travail en sol américain. Cependant, au moins 160 000 d’entre elles «disparaissent» selon les données fournies par les organismes Amnistie internationale, Mouvement des migrants mésoaméricains et Sin Fronteras, une organisation mexicaine de défense des droits civils.
Autrement dit, 40 % des migrants qui entrent à la frontière sud du Mexique ne se rendent pas aux États-Unis, et toute trace de ces personnes est perdue.
Lors de leur traversée en territoire mexicain, ces migrants, qui proviennent en majorité d’Amérique centrale, sont extorqués, discriminés et même recrutés par des groupes du crime organisé.
Les trois ONG dédiées à la défense des droits humains mettent en garde sur les nombreux risques que comporte le parcours de ces caravanes.
Sin Fronteras explique que lorsque le phénomène de migration a débordé, il y a 12 ans, les groupes criminels ont commencé à faire du trafic humain avec les migrants.
«La population migrante, au lieu d’être protégée, est enlevée et extorquée au Mexique.» -Nancy Ortega, directrice de Sin Fronteras.
Pour la défenseure des droits humains, les étrangers sont doublement violentés : ils font face à des violences psychologiques aux points d’immigration, en plus de celles infligées par les habitants des communautés qu’ils traversent en cours de route.
Les données cachées l’emportent
Selon Rubén Figueroa, membre du Mouvement mésoaméricain, les disparitions ne sont pas constatées avant six mois, voire un an. En plus, peu de familles signalent l’absence de leurs proches, ce qui rend encore plus difficile la collecte de données.
«Ces chiffres sont totalement variables. Les organisations peuvent mettre longtemps à effectuer un recensement, mais les données non reconnues ou non comptabilisées représentent une part énorme, c’est certain», a-t-il déclaré.
Les causes pour expliquer ces «disparitions» vont du simple manque d’identification jusqu’à des morts causées par des chutes de train, en passant par des enlèvements, des agressions et des vols qualifiés qui bloquent la progression des migrants au Mexique.
Les personnes les plus visées sont des ressortissants du «triangle du nord» d’Amérique centrale, soit le Guatemala, le Honduras et le Salvador. Ces personnes fuient leur pays natal en raison de la pauvreté et de la violence auxquelles elles sont confrontées.
Les chiffres du bureau du procureur général de la république du Mexique (PGR) indiquent que les migrants qui disparaissent sont principalement des Guatémaltèques et des Honduriens.
Le trafic sexuel menace les femmes !
En plus de gonfler leurs rangs par le recrutement, des gangs criminels capturent des dizaines de femmes et les forcent à devenir des travailleuses du sexe. Les hommes, eux, sont torturés, puis tués.
Compte tenu de ces dangers, peu de migrants arrivent à la frontière entre le Mexique et les États-Unis sans avoir au préalable subi une série d’abus, tandis qu’environ 4 migrants sur 10 restent bloqués dans certains États, sans papiers ni argent, et sont perdus de vue.
Francesca Fontanini, responsable régionale des communications du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, a déclaré que bien qu’il n’y ait pas de recensement exact, l’organisation se dit consciente des milliers de disparitions. Mme Fontanini considère que le gouvernement mexicain a échoué à signaler ce problème et à fournir des statistiques crédibles, car les données soumises ne correspondent pas à la réalité de la vie des personnes sans papiers.
Interview avec Carolina Jiménez, directrice adjointe des recherches d’Amnistie internationale
Est-ce que la disparition de migrants est un phénomène nouveau?
Non. Malheureusement, les migrants continuent de disparaître et, bien qu’il s’agisse d’un problème présent depuis plusieurs années, les autorités n’ont toujours rien fait de concret pour freiner les abus de ce type. Des groupes de proches de migrants disparus se sont réunis pour tenter de les localiser. Ils ont la certitude qu’il leur est arrivé malheur pendant leur transit dans le pays et ils exigent des recherches.
Faut-il revoir la façon de surveiller les caravanes de migrants?
Oui, la CNDH [Commission nationale des droits de l’Homme] s’est prononcée à plusieurs reprises sur le sujet dans des rapports alarmants. Il s’agit clairement d’un problème très préoccupant, où l’injustice est omniprésente.
La violence sexiste est également un problème. Les personnes transgenres et LGBT se font harceler et sont victimes de discrimination et de délits lorsqu’elles traversent le territoire mexicain.
Pourquoi n’y a-t-il pas de données exactes pour cerner ce problème?
Il est difficile d’établir un chiffre exact lorsqu’il est question de populations en mouvement. De plus, comme de nombreux migrants empruntent des itinéraires clandestins, il est pratiquement impossible de compter tout le monde.
Cependant, dans les faits, les chiffres sont alarmants et il est vrai que des cas de torture par les autorités mexicaines elles-mêmes, des violations des droits de l’Homme et des meurtres par le crime organisé sont documentés.
Quelle est la position du gouvernement fédéral mexicain dans ce dossier?
Ces dernières années, nous avons constaté que le profil des migrants avait changé.
De nombreuses personnes recherchent une protection internationale et, dans ce sens, le Mexique a essayé d’accroître sa capacité à accorder l’asile, sans succès. C’est un problème structurel, et lorsqu’une caravane arrive, le problème s’aggrave.
Source – Metro