Le Mexique a franchi la barre des 53.000 morts du Covid-19, un bilan bien supérieur aux prévisions du gouvernement du président Andres Manuel Lopez Obrador qui cristallise les critiques sur sa gestion de la pandémie et de la crise économique.
Le pays de 128,8 millions d’habitants a enregistré un total de 492.522 cas confirmés et 53.929 décès, selon les dernières statistiques gouvernementales au 11 août. Ces chiffres font du Mexique le troisième pays le plus endeuillé au monde après les Etats-Unis et le Brésil, même si le nombre de morts pour 100.000 habitants le classe au 13e rang, selon des statistiques établies à partir de chiffres officiels. Pour information le nombre de décès en France rapporté au nombre d’habitants est à ce jour autour de 450 pour 1.000.000 d’habitants, il est encore « que » de 415 au mexique !
Le bilan est toutefois bien au-dessus des prospectives du gouvernement qui avaient estimé fin février que le nombre de morts la pandémie s’établirait dans une fourchette entre 6.000 et 30.000. En juin, après des mesures de confinement volontaire, le Mexique a progressivement relancé son activité et ces prévisions initiales ont volé en éclats.
Depuis, les chiffres n’ont eu de cesse de grimper. Mais le responsable de la stratégie gouvernementale contre le nouveau coronavirus, Hugo Lopez-Gatell, a fait part cette semaine de son optimisme, estimant qu’il y avait désormais un « contrôle plus important » de la pandémie. « Nous avons encore une importante activité épidémique, mais elle a commencé à ralentir en juillet », a-t-il assuré.
Des disparités très notoires entre régions du pays
Ceci étant il est à noter que seuls 5 états, dont la capitale du pays, sur les 32 que forment le pays, concentrent pratiquement 50% des décès. Ce sont la ville de Mexico, l’état de Mexico, l’état de Veracruz, Puebla et Basse californie du nord (Tijuana). La moyenne d’âge des décès est de 63 ans et ce sont les hommes qui décèdent le plus à hauteur de 65%. En bas de tableau nous retrouvons les états de Basse californie du sud, Colima, Aguascalientes, Zacatecas, Durango qui ensemble représentent moins de 3 % des décès….
L’autre particularité du Mexique, c’est qu’en terme de cas covid « cumulés » les états les plus touchés ne sont plus tout à fait les mêmes puisque le Tabasco et l’état de Guanajuato rejoignent la ville et l’état de Mexico en haut de panier. Par ailleurs la moyenne d’âge des personnes atteintes est plus basse soit 44 ans compte tenu également des conditions de santé lamentables de la tranche d’âge des 35-50 ans.
A noter également, depuis 2 semaines, une forte remontée des cas covid actifs au Nuevo Leon (Monterrey), Coahuila, Jalisco (Guadalajara) et au Yucatan (Merida), un état qui prolonge sa « ley seca » (interdiction de servir des boissons alcoolisées) au 17 septembre prochain. En clair depuis le déconfinement ce sont les grandes villes qui sont plutôt touchées et les états isolés ou très étendus comme le Chiapas, le Campeche, Durango ou le Chihuahua qui sont relativement protégés ! En conclusion la pandémie n’a clairement pas le même impact selon que vous vous trouviez à Mexico, sur une plage isolée du Oaxaca ou une plus petite ville de province !
Plusieurs professionels mettent toutefois en doute la réalité des chiffres officiels. « Le nombre de cas, comme celui des décès, doit être substantiellement plus élevé que ce qui apparaît dans les chiffres officiels, du fait que nous avons pratiqué peu de tests », estime Alejandro Macias, qui avait dirigé en 2009 la stratégie gouvernementale face à l’épidémie de grippe H1N1.
Ceci étant d’autres professionels soulignent le fait que si certaines personnes se laissent mourir à la maison, par peur des hôpitaux, d’autres décès naturels sont en revanche comptabilisés Covid du fait des démarches accélérées et surtout des aides financières accordées parfois aux familles dans le cadre des enterrements. L’un dans l’autre on peut estimer que les chiffres officiels, du moins ceux liés liés aux décès, sont relativement proches de la réalité.
Alejandro Macias reconnaît des succès tels que la reconversion des hôpitaux pour faire face à la crise. Mais sur des aspects tels que le nombre de tests effectués, « le Mexique est franchement allé à l’encontre des recommandations internationales », déplore-t-il. Le gouvernement se défend en affirmant qu’il a dû gérer la crise sanitaire en s’appuyant sur un système de santé abandonné depuis trois décennies, avec des graves pénuries de personnels. Il soutient également qu’aucune preuve concluante ne permet de dire qu’un dépistage massif est une mesure de contrôle efficace.
Alejandro Macias critique aussi le gouvernement pour ne pas avoir suffisament encouragé l’utilisation de masques. Après en avoir relativisé l’efficacité dans un premier temps, M. Lopez Gatell considère désormais le masque comme une « mesure auxiliaire » contre la propagation. Le chef de l’Etat lui-même, qui a limité ses apparitions publiques, n’a été vu avec un masque qu’une seule fois, lors d’un voyage récent aux Etats-Unis où il a rencontré son homologue Donald Trump.
Une économie qui vascille, un vrai risque politique et social à moyen terme
Autre sujet de critique, la gestion gouvernementale de la crise économique, alors que la pandémie a durement frappé la deuxième économie d’Amérique latine. Les prévisions de la Banque centrale du Mexique font état d’une contraction de 10% du produit intérieur brut (PIB) pour 2020. Le Produit intérieur brut (PIB) «a reculé de 17,3% en termes réels au cours du trimestre avril-juin 2020 par rapport au trimestre précédent, en données corrigées des variations saisonnières», a précisé l’INEGI dans un communiqué.
Lors de la publication de ces chiffres fin juillet, le président Lopez Obrador a affirmé que de tels résultats étaient attendus et que d’autres indicateurs montraient que le pays allait « de l’avant ». Le secteur privé a cependant critiqué l’absence d’une politique de soutien pour faire face aux conséquences de la crise, alors que le chef de l’Etat a dit ne pas vouloir endetter davantage le pays.
Dans un rapport, la banque américaine Bank of America Merrill Lynch estime pourtant que « les dépenses consacrées à des politiques qui aident les personnes et les entreprises à faire face à l’impact de la pandémie peuvent accroître la productivité et induire une reprise plus forte ».
Intercam, casa de bolsa a d’ailleurs annoncé une très forte augmentation des « remesas » (virements en devises réalisés depuis l’étranger) qui devrait atteindre 36,5milliards de dolars cette année. Une nouvelle qualifiée de positive par le gouvernement qui considère que les mexicains vivant et travaillant à l’étranger participent au bien être de leur proches restés au pays mais à y voir de plus près on peut aussi apercevoir le retour forcé des petites économies que de nombreux petits entrepreneurs ont rapatriés pour faire face aux dépenses courantes et aux frais enjendrés par la pandémie.
Une soi-disant bonne nouvelle qui s’apparente davantage à un signe, celui de voir la classe moyenne sombrer dans la misère faute de soutiens et de lignes de crédit dans les banques. Une classe moyenne qui commence d’ailleurs à réaliser l’étendue des dégâts et la longue crise économique qui l’attends !
Malgré la situation, le président de gauche, au pouvoir depuis décembre 2018, conserve une cote de popularité de 58%, selon un sondage du quotidien El Financiero réalisé en juillet. Un président qui semble encore manger du pain blanc mais la crise politique et sociale est au coin de la rue et les six prochains mois seront décisifs pour son gouvernement et le pays.
Le réveil sera à notre avis très douloureux pour beaucoup et la situation bien plus compliquée à gérer que la crise pourtant exceptionnelle de 1994 si l’état ne fait pas appel à ses lignes de swaps, aux crédits du FMI et aux banques internationales pour aider le secteur privé en particulier les secteurs du tourisme et de la restauration, gros pourvoyeurs d’emplois au Mexique.