C’est dans la Huazteca potosina, au centre-est du Mexique, qu’Edward James a réalisé à partir du milieu du XXe siècle l’œuvre majeure de sa vie ! Las Pozas, situé à quelques kilomètres du village de Xilitla, est un jardin architectonique et surréaliste hébergé par une nature généreuse, sublimé par une végétation luxuriante et des eaux tantôt jaillissantes tantôt ruisselantes. Reportage !
Cet ensemble de ruines intemporelles reliées par des allées arborées recrée un royaume symboliste tout en dénivelés. Il se compose de structures sans fonctionnalité ni destination particulière, sinon d’embellir le paysage et de veiller sur les plantes, de protéger les oiseaux, de donner un réceptacle à la vie terrestre qui prend ses aises entre, autour et avec les constructions.
Las Pozas signifie « les puits » ou « les bassins ». Lorsqu’il explorait la Huaxteca potosina, Edward Jame fut charmé par le terrain de cette ancienne plantation de café. Lorsqu’il se baigna dans la rivière, un nuage de papillons Monarca vint l’entourer, ce qu’il interpréta comme un signe pour son projet d’installation au Mexique.
De fait, la vie court partout, intensément à Las Pozas. Elle serpente entre les jambes pendant l’escalade des volées de marches, elle ondule le long des cascades. Elle se hume, elle humidifie, elle modifie les sens, elle se dévoile sous les yeux ébahis des visiteurs. Toutes les nuances de vert s’y déploient, et les touches colorées qui parsèment le parc, les rares traces de peinture sur les arcs en béton et les étranges chapiteaux-fleurs magnifient cette couleur qui représente à la fois l’abondance de la nature, mais aussi l’équilibre entre les deux mondes céleste et chtonien.
Une œuvre surréaliste majeure
Initialement surnommé « el Inglés loco » (l’anglais fou) par les habitants du village proche de Xilitla, car son projet ne semblait pas avoir de sens, le Britannique n’a fait que de courts séjours au sein d’un univers sorti de son imaginaire et qui a évolué avec le temps, les règles naturelles et les techniques. Edward James a par ailleurs englouti dans les 32 hectares qu’il a achetés en 1947, toute la fortune léguée par sa famille – grandiose acte romantique et défi à la société post-victorienne comme à tout raisonnement matérialiste.
Mais le résultat est là, bien réel et la région compte désormais un attrait touristique et artistique de taille, à côté des richesses naturelles et du microclimat tropical de la Huasteca prisés par les visiteurs mexicains. La réputation du jardin de Las Posas, Xilitla a dépassé les frontières puisqu’il est considéré comme une œuvre surréaliste majeure, et les touristes du monde entier franchissent l’entrée du parc.
À la mort d’Edward James en 1984, le « Jardín Escultórico » est resté longtemps sans entretien mais aujourd’hui la gestion du site est bien encadrée.
En 2007, la Fundación Pedro y Elena Hernández, la société Cemex et le gouvernement de l’État de San Luis Potosí achètent Las Pozas pour 2.2 millions de dollars et crée le Fondo Xilitla, une fondation dédiée à la préservation et à la restauration du site.
La végétation tropicale commençant à fortement dégrader les structures en béton, le Fonds mondial pour les monuments inclut Las Pozas sur sa liste de 2010 ; une restauration a débuté en 2012. Compte tenu de l’exposition des sculptures à l’humidité, et malgré la qualité du béton armé employé partout, cette osmose délicate entre le milieu naturel et l’intervention humaine demande une attention constante. Œuvre d’un visionnaire ou d’un grand nostalgique des paradis perdus, fasciné par les architectures labyrinthiques et le baroque, on peut rapprocher la geste d’Edward James à celle du facteur Cheval dans la Drôme, en France.
Un aristocrate anglais très excentrique mais très riche !
Edward James est né en Écosse en 1907 d’un magnat du pétrole étasunien et d’une aristocrate anglaise, supposée fille illigitime du roi Edouard VII. Il a donc grandi dans un monde de luxe et de privilèges. Étudiant à Oxford, il a pu s’identifier à la bohème et aux Avant-gardes qui l’attiraient tant. Il devint philanthrope avec une inclination pour les Beaux-arts et la poésie. E. James s’est d’ailleurs essayé à la seconde discipline artistique mais sans grand succès.
Il fut également mécène de René Magritte et de Salvador Dali, en plus de son amie Leonora Carrington. Initialement marié à une danseuse autrichienne, sa tentative de normalisation sociale se termina par un divorce orageux et le fit s’éloigner de la société anglaise pour s’installer aux USA puis au Mexique. Là, il lui fut enfin possible d’à la fois réaliser son rêve surréaliste et de vivre plus librement sa bisexualité.
Intéressant d’ailleurs de constater comment le Mexique a attiré les aventuriers du rêve et de l’étrange qu’étaient les premiers surréalistes européens : André Breton et Antonin Artaud s’enthousiasmèrent pour le clair-obscur de la culture mexicaine, mais s’intéressèrent aussi à ses racines mystiques dans les traditions indiennes.
Mais aussi Eleonora Carrington, artiste peintre et romancière issue de l’aristocratie anglaise et qui s’installa à Mexico, elle fut une grande amie et inspiratrice d’Edward James. Ce pays qui entra dans la modernité et dans les années 30, appliqua concrètement sa révolution communiste. Immense pays en devenir, ayant gagné son affranchissement au bout d’un siècle de luttes populaires, le Mexique semblait à la fois une page blanche infinie et un mystérieux grimoire du fait de l’accumulation de ses cultures successives, de sa longue et passionnante histoire.
Il attira alors bien des talents et des projections, tout comme il révéla au monde de nombreux artistes d’inspiration surréaliste, tels Octavio Paz et Frida Kahlo. Les révolutions surréalistes et politiques s’attirèrent, les échanges furent fructueux !
Une faune et une flore en partie disparues !
Qu’importe la disparition de sa collection florale – dont des orchidées précieuses, jusqu’à 29 000 à un moment – et de l’investissement qu’elle a représentée ! Le gel n’aura pas raison des chapiteaux-fleurs et des colonnes inspirées des tiges de bambou ou de maïs, des arcs minéraux qui partout partent à l’assaut du ciel. Des cornes d’abondances rangées en orgues, des champignons aux courbes sophistiquées…
« Je recherchais une ambiance, une atmosphère, la beauté, un Eden où je pourrais tout inventer. »
L’influence des mythes précolombiens se mêle aux résurgences néo-gothiques. Edward James agrandit progressivement son domaine de rêve avec l’aide de son assistant et ami Plutarco Gastélum, et de dizaines de villageois transformés en ouvriers de l’indicible. Les escaliers se multiplient tandis que les constructions plus basses vers les bassins et les cascades se métamorphosent en racines.
C’est donc l’ensemble du site qu’il faut considérer comme un arbre cosmique, le jardin comme première et ultime demeure, où le temporel, le cyclique et l’éternel se partagent les espaces. Ce symbole cosmique, comme métaphore de l’Homme, est souvent représenté dans l’alchimie à l’envers, les branches tournées vers le bas et les racines tendues vers les étoiles.
On peut donc y découvrir selon ses déambulations de nombreux rappels sur la dualité du plein et du vide, de l’ombre et de la lumière avec lesquels E. James s’est amusé à ponctuer le jardin pour susciter la curiosité et laisser l’imprévu, le surréel s’insérer dans la réalité, et finalement ouvrir de nouvelles perspectives.
De nombreux signes soulignent la combinaison tortueuse entre le bien et du mal, en suspension entre le cosmos et les entrailles de la terre, le propre de la condition humaine. Même si le flot des visiteurs aujourd’hui nombreux apporte davantage de difficulté pour évoluer en position instable sur les passerelles et les colimaçons, s’entrecroiser entre le fouillis des structures porteuses et sur des marches glissantes, l’équilibre et la majesté de l’ensemble reste saisissant.
Le site de Las Pozas accueillait également de nombreux animaux, incluant tous les règnes de la vie sur la terre. Exentrique, E. James y élèvait des animaux exotiques pour lesquels il a érigé un ensemble de petits niches. Il débarqua d’ailleurs un jour à l’Hôtel Francis à Mexico avec ses boas constrictors apprivoisés !
Il a également nommé chacune de ses structures en béton, avec des formules comme « la Maison sur trois étages qui en aura en fait cinq, ou quatre, ou six », « la Maison avec un toit comme une baleine » ou « l’Escalier vers le paradis » ou encore le vertigineux « Cinématographe ».
Œuvre totale préservée dans la forêt d’émeraude, le « Jardín Escultórico » de Xilitla est un moment de délicieuses pérégrinations et d’émerveillement. Je laisse maintenant parler la végétation et les formes fantastiques d’Edward James, dans un lent fondu au vert.