Dossier- La production de pavot augmente, poussée par la demande d’héroïne aux Etats-Unis

Le Mexique est le principal fournisseur d’héroïne des Etats-Unis. Les cartels mexicains ont construit des laboratoires sophistiqués grâce à l’usage de produits chimiques importés de Chine ou d’Inde. Dossier..

“Tssk-tssk-tssk”, dans une zone reculée et montagneuse du sud du Mexique, un son proche du chant des cigales rompt le silence des lieux : il provient du système d’arrosage automatique des parcelles clandestines de pavot à opium.

Coiffé d’un chapeau de paille, Jorge, 23 ans, entaille les bulbes des fleurs de pavot qui laissent alors échapper une sève gluante. C’est la matière première de l’héroïne qui alimente la forte demande des Etats-Unis et génère au Mexique une violence croissante.

Ce paysan vêtu d’un polo et d’un jean est propriétaire de deux parcelles, à une demi-heure à dos d’âne de sa modeste maison située dans cette zone isolée de l’Etat du Guerrero, où il vit avec ses parents.

Environ 80 personnes, dont des femmes et des enfants, sont installées dans ce village improvisé où chaque famille possède ses propres parcelles d’une culture bien plus lucrative que les autres.

Dans cette communauté reculée, pas de services de santé, ni d’école, mais une chapelle. Les enfants marchent une heure à travers les montagnes pour rejoindre une salle de classe. Quelques cultures de maïs servent aux villageois à s’alimenter.

Si Jorge cultive le pavot “c’est parce qu’il n’y a rien d’autre”, explique-t-il.

“Tout le monde ici plante du pavot. Bien qu’à l’extérieur on dise qu’il s’agisse de drogue, pour nous (…) c’est comme planter du maïs, de la tomate ou du piment”, ajoute Jorge après avoir travaillé sur ses 1.600 mètres carrés au pied d’une colline.

Parfois, des tirs résonnent dans la vallée auxquels ces paysans ne prêtent guère attention.

– Guerre pour l’héroïne –

Bien que les habitants de cette zone se refusent à dire à quel cartel de narcotrafiquant ils fournissent leur gomme à opium, l’Etat du Guerrero est dominé par les “Guerreros Unidos” et les “Rojos”.

Ces groupes rivaux se livrent une guerre qui a transformé cet Etat en une zone hautement dangereuse où les assassinats et les disparitions sont fréquents, avec un taux d’homicide de 56,5 pour 100.000 habitantes en 2015, chiffre le plus élevé du Mexique.

“Une part très importante de la violence qu’à connu le pays est due à la production de pavot”, explique à l’AFP Roberto Campa, vice-ministre de l’Intérieur chargé des droits de l’homme.

C’est dans l’Etat du Guerrero que les 43 étudiants d’Ayotzinapa ont disparu en 2014, livrés par une police locale corrompue au cartel des “Guerreros Unidos” qui les aurait confondus avec ses rivaux des “Rojos” et les aurait tués, selon les autorités.

Le Mexique est le principal fournisseur d’héroïne des Etats-Unis, indique Gerardo Rodriguez, expert en sécurité nationale à l’Université de las Americas à Puebla (centre).

Les cartels mexicains ont construit des laboratoires sophistiqués pour produire de l’héroïne très pure, grâce à l’usage de produits chimiques importés de Chine ou d’Inde, ajoute-t-il.

La parcelle de Jorge produit environ 3 kilos de gomme d’opium tous les trois mois, vendus entre 760 et 925 dollars le kilo, en fonction des saisons.

Il faut entre 15 et 25 kilos de cette gomme pour fabriquer un kilo d’héroïne, précise Alejandro Hope, un ancien membre des services de renseignements mexicains.

L’héroïne est ensuite vendue entre 50.000 et 60.000 dollars le kilo aux Etats-Unis.

– Rêves de jeunes –

Selon des chiffres officiels obtenus par l’AFP, la production a augmenté dans l’Etat du Guerrero: les saisies de gomme d’opium par les militaires y sont passées de 60 kilos en 2000 à plus d’une tonne en 2014.

A l’échelle nationale également, au vu des surfaces détruites par les autorités (20.000 hectares en une année), on peut estimer que “la surface cultivée a augmenté”, estime Antonio Mazzitelli, représentant au Mexique du bureau contre la drogue et les délits de l’ONU.

“Ici, beaucoup de jeunes, comme moi, n’ont jamais pensé étudier”, confie Jorge. “Je pensais uniquement à planter du pavot, m’acheter une nouvelle voiture”.

Parfois, raconte-t-il, les autorités détruisent leurs cultures, mais le commerce ne s’arrête pas pour autant.

“Le gouvernement fait de la politique. Parfois il laisse faire, parfois non”, ajoute-t-il. “Ils savent qu’ils ne peuvent pas détruire complètement le pavot à opium”.

Source – Agences

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