Colette Lilly, une aventure mexicaine auprès des Huichols !

Le Grand Journal du Mexique a rencontré chez elle, à Zacatecas, l’anthropologue française Colette Lilly. Arrivée au Mexique dans les années 1960, elle a passé  de nombreuses années au contact du peuple huichol et a  été le témoin des changements de leur mode de vie. Elle est décédée le 1er novembre 2016 à Zacatecas !

Article de nos archives (7 octobre 2010)

La culture huichol est peut-être l’une des plus fascinantes que l’on puisse trouver au Mexique. Les broderies fortement colorées, en laine ou en perle, que fabriquent les Huichols émerveillent de par leur symbolique animalière et leur esthétique influencée par l’usage du Peyotl, un petit cactus fortement hallucinogène qui pousse dans le désert.

Bien souvent réduit dans l’esprit des Occidentaux à ces deux aspects, l’incroyable richesse de la culture de ces indigènes du nord-ouest du Mexique a longtemps été ignorée, voir méprisée.

Quand au début des années 60 Colette Lilly et son époux États-Unien John Lilly (décédé en 2007) s’aventurent à leur rencontre, ils découvrent un peuple marginalisé qui défend farouchement ses traditions. Ils réaliseront d’importants travaux d’étude et d’observation (notamment à travers la vidéo), mais par soucis de préserver la tranquillité de ce peuple qui les fascine tant, ils ne divulgueront que très peu les résultats de leurs investigations.

Cette incroyable aventure humaine, Collette Lilly nous l’a racontée en nous accueillant chez elle dans la ville de Zacatecas, au beau milieu d’objets et de tableaux réalisés par ses amis. Interview.

Colette Lilly: J’ai connu le Mexique à la fin des années 1950 et ça m’a enchanté. J’habitais Washington aux États-Unis où tout était gris alors que le Mexique n’était que couleurs !

Au début j’y ai passé 3 mois, mais j’ai du rentrer quand les économies se sont épuisées.  Je finissais mes études et je travaillais à l’ambassade de France à Washington. C’est là que j’ai connu mon futur mari, John Lilly, il réalisait alors des films et était très absorbé par cette tâche.

Je ne le savais pas mais lui aussi allait partir au Mexique. Quatre ans après, en 1965, il est revenu et nous nous sommes revus dans une fête.  Il m’a demandé si je voulais vivre au Mexique… Je n’attendais que cela ! Deux semaines plus tard nous étions dans le train, en route pour le Mexique.

Nous habitions à Mexico mais nous allions beaucoup dans la région mazatèque de Oaxaca (zone indigène au nord de l’Etat, ndlr). Et puis il y a eu tout ces problèmes à Huautla de Jimenez…

Le Grand Journal: Quel genre de problèmes ?

Et bien beaucoup d’étrangers ont commencé à venir à cette époque, attirés par les champignons hallucinogènes qui poussent dans les environs. Tout d’abord ce furent des scientifiques  qui venaient  pour étudier les champignons, comme Roger Heim, d’autres pour faire des recherches sur les plantes hallucinogènes comme Richard E. Schultes et Albert Hofmann, et d’autres encore pour observer les aspects culturels tel que Gordon Wasson.

Et puis petit à petit c’est  tout le mouvement hippie qui s’est rué sur Huautla pour voyager avec les  champignons. A cette époque il y avait des centaines de personnes qui venaient avec leurs camionnettes  couvertes de décalcomanies de champignons.

Ils se comportaient comme chez eux et ne se rendaient pas compte que les locaux n’avaient jamais vu des gens tout nus par exemple… C’était vraiment horrible, nous essayions de leur dire qu’il fallait qu’ils fassent preuve d’un peu de discrétion. Mais ils s’en fichaient…

Un jour un « psychiatre » a amené un patient chez Maria Sabina pour le soigner, le type est devenu complètement  fou ! Il croyait qu’il était Jésus Christ et il a essayé de manger une dinde vivante. Ils l’ont arrêté. Mon mari était là à ce moment là, il a joué les interprètes, c’était fou…

Il y eu plusieurs incidents de ce genre, c’est pour ça que le président  Echeverría a dit «Basta » et a décidé d’expulser tout le monde. Les soldats sont arrivés et ont tout simplement expulsé les Américains. C’est toute une histoire ! A ce moment nous nous étions cachés chez des gens que nous connaissions.

Pourquoi alliez-vous à Huautla ?

Je suis anthropologue de formation et mon mari était ethno-cinéaste. Quand John est arrivé à Mexico en 1961 il a découvert la communauté de Soyaltepec et a été fasciné par cette culture indigène très préservée. Et puis il a eu envie de connaitre ce qu’il y avait derrière les montagnes toutes proches. Il ne connaissait rien des champignons à l’époque. Quand je suis revenu avec lui il voulait me montrer tout cela, c’était fascinant !

On y allait souvent, mais après la déportation des hippies il y avait des soldats qui contrôlaient le secteur. Nous ce que l’on faisait c’était photographier des sites archéologiques encore inexplorés, filmer les cérémonies qui accompagnent l’usage des champignons et essayer de connaitre les autres plantes hallucinogènes qui poussaient dans la région.

Comment s’est passée votre rencontre avec les Huichols ?

On avait toujours voulu en savoir davantage sur eux. En 1969, dans un pesero (taxi collectif, ndlr) nous avons fait la connaissance de deux frère Huichols qui vendaient des tableaux. Nous avons pris  leur adresse et c’est là qu’a commencé toute l’histoire… L’un d’entre eux était Motaaopohua (Santiago de la Torre pour son nom espagnol) de la communauté de Santa Catarina, c’est lui qui serait plus tard l’auteur du mural du musée de Zacatecas, de celui de Chicago et de celui que le président mexicain Zedillo a offert à Jacques Chirac pour la station Palais Royal – Musée du Louvre du métro de Paris.

Mais à l’époque il faisait des tableaux très simples. Nous lui avons dit qu’il devrait faire des œuvres plus complexes sur sa religion etc. Il nous a répondu qu’il fallait qu’il aille dans la Sierra demander la permission aux Dieux. A son retour il nous a dit que les Dieux étaient d’accord pour travailler avec nous à condition qu’il leur sacrifie un taureau. John lui a donné de l’argent pour acheter un taureau, il est retourné à la sierra et à fait son sacrifice. Puis à son retour il a commencé à faire des tableaux de plus en plus intéressants !

Ils venaient chez nous pour fabriquer ses tableaux, il travaillait un moment puis il allait s’allonger…  Je le taquinais « tu es déjà fatigué ? » et il me répondait « non, il faut que je rêve, car dans mon rêve les Dieux vont me montrer comment continuer mon travail ».

Et puis un jour, lui et son frère avec 3 autres Huichols nous ont annoncé qu’ils allaient à Huiricuta (le lieu où est récolté le Peyotl au terme du pèlerinage que réalisent les Huichols, près de la ville de Real de Quatorce dans l’Etat de San Luis Potosi, ndlr). John voulait absolument les accompagner, après de nombreuses tergiversations il est finalement parti avec eux et un autre ami.

Le 20 juillet 1969, la nuit où le premier homme a marché sur la lune, ils étaient à Huiricuta, autour d’un feu de camp. John très excité écoutait à la radio et exultait « les Américains sont sur la lune ! »… Les Huichols pensaient qu’il était fou ou qu’il avait abusé du peyotl, ils se moquaient beaucoup de lui !

Vous n’y êtes donc pas allée cette fois-ci… Avez-vous participé au pèlerinage huichol par la suite ?

Non, John l’a fait la première fois avec un ami, car il pensait que ce serait trop dur pour moi. A cette époque il n’y avait pas de transport et la route était très difficile. Mais cependant je suis allée avec lui a la Sierra en 1970 et nous avons participé tous les deux au pèlerinage en 1972.

Qu’avez-vous retenu de cette expérience ?

Ce qui m’a le plus marqué en débutant le voyage à Mezquitic (Etat de Jalisco, ndlr) c’était le mépris de la part de la population métis envers les Huichols. On entendait sans cesse des insultes, « pouilleux, ivrognes ! », les gens nous demandaient ouvertement pourquoi nous voyagions avec  ces « indiens crasseux »… C’était dur.  Mais les Huichols étaient tout à fait habitués à cette discrimination, ils l’ignoraient royalement en fait.

Ça, c’est quelque chose qui a changé dans le bon sens, aujourd’hui ils sont acceptés, on ne se moque plus d’eux. Tout le monde reconnait qu’ils font de très belles choses. Petit à petit les gens ont appris à les apprécier !

Ça a été facile de s’intégrer parmi eux ?

Ah non, ça a été horrible ! La première fois que j’ai assisté à une cérémonie les femmes me regardaient de haut en bas et puis elles crachaient par terre. C’était impossible de trouver quelque chose à manger, ils ne voulaient même pas nous vendre des tortillas ou des œufs.

Et puis un jour il y a eu une épidémie de rougeole et on a fait ce qu’on pouvait pour aider, là ils ont commencé à nous accepter, même s’il y avait toujours des petites tensions…

A quels changements avez-vous assisté au cours des années ?

(Elle soupire) Et bien, maintenant il y a des cliniques, des écoles… On vaccine les enfants alors qu’avant les épidémies de rougeole faisaient des ravages.

C’est plutôt positif non ?

On parle du progrès… Mais je dirais plutôt que les fléaux d’avant ont été remplacés par des fléaux plus actuels. Maintenant les gens mangent mal, ils ont du diabète. Les enfants sont envoyés dans des pensionnats loin de leurs parents, loin de leurs traditions. Ils ne veulent plus aider leurs parents dans les tâches agricoles, ils ne veulent plus participer aux fêtes traditionnelles.

Au cours des 20 dernières années le gouvernement a beaucoup insisté pour que les gens se regroupent en communautés, brisant le mode de vie ancestral où les familles étaient dispersées dans différente « rancherias ». Il y avait derrière tout cela bien entendu la volonté de mieux les contrôler.

Je suis plutôt pessimiste. Je crois qu’il y a eu une véritable perte d’identité, ce ne sont plus de vrais Huichols. A vrai dire, ces dernières années je ne retourne plus dans la sierra car ça me rend triste.

Un ami chaman me dit souvent « quand nous on ne sera plus là il n’y aura plus de Huichols ». Les adultes qui ont plus de 50 ans aujourd’hui se considèrent un peu comme la dernière génération qui reproduit les traditions. Mais on ne peut bien sûr pas exclure qu’une génération de jeunes chamans reprenne la situation en main !

Aviez-vous le désir de transmette ce que vous voyiez ?

Après la triste expérience de Huautla de Jimenez nous ne souhaitions pas vraiment divulguer des informations sur le mode de vie des Huichols. On ne voulait pas que des néo-hippies les envahissent  pour chercher du Peyotl, on trouvait que c’était dangereux.

Malheureusement d’autres s’en sont chargés, et pas de la bonne manière ! Il y a eu tout ce délire « new age », ça a commencé aux États-Unis (elle montre des publicités dans différents journaux vantant des « expériences chamaniques » avec le Peyotl). Des gens sans scrupules ont commencé à emmener les touristes dans le désert, pour 1000 dollars tout frais compris. Ce sont des charlatans !

Quand ce genre d’impostures a commencé à apparaître nous étions révoltés, mais au Mexique il est très compliqué de règlementer ce genre de chose. On a laissé tomber, on ne peut pas faire la police.

Mais maintenant oui, je souhaite  transmettre ce que nous avons vu. Cela ne vaut plus la peine d’essayer de cacher tout ça, c’est déjà suffisamment connu. Je pense que c’est le moment car la réalité d’aujourd’hui est totalement différente de ce que l’on a connu. J’ai beaucoup de choses écrites, et il y a des centaines d’heures d’images tournées par John.

Sous quelle forme allez-vous transmettre ce témoignage ?

Nous sommes en train de monter un documentaire vidéo à base d’images anciennes et actuelles. Mon mari a laissé beaucoup de films en 16 et 35 millimètres. Nous allons faire une comparaison entre ce que nous avons connu dans les années  1970 et ce qui est maintenant, tous les problèmes et la perte d’identité que subissent les Huichols. Pour pourvoir mener ce projet à bien nous sommes en attente d’une bourse, nous serons fixés en octobre.

J’appartiens à une association civile qui s’appelle Conservación Humana, le président Humberto Fernández va faire les tournages avec les Huichols d’aujourd’hui.

Pourquoi avez-vous passé tant de temps avec les Huichols ?

On était fascinés par l’idée que les Huichols survivaient et perpétuaient leurs traditions. Je crois qu’on peut dire que nous sommes tombés amoureux de la tribu. On les trouvait merveilleux, beaux, on adorait leur façon de vivre. On a appris beaucoup de choses auprès d’eux et surtout que pour vivre heureux finalement on a besoin de très peu.

C’est ça qui intéressait beaucoup mon mari : il pensait que l’on avait beaucoup à apprendre des Huichols, il disait « un jour il n’y aura plus de pétrole et on devra apprendra à vivre autrement, eux ils savent vivre avec peu de chose. »

A lire aussi un article de la Jornada en espagnol sur sa vie et son oeuvre ICI

Propos recueillis par Nicolas Quirion – (legrandjournal.com.mx)

 
LesFrancais.Press
TV5mondeplus.com