Capturés par les Mayas, l’incroyable destin de deux naufragés espagnols au Mexique ! (Vidéo)

En 1511, les Espagnols Gonzalo Guerrero et Gerónimo de Aguilar échouent sur les côtes du sud du Mexique et sont capturés par les Mayas. Alors que le premier deviendra un des leurs, le second, délivré par Cortés, s’engagera dans la lutte contre les Aztèques. Deux destins qui ont écrit une page, parfois légendaire, des peuples de la Méso-Amérique.

Fin février 1519. Sous une chaleur écrasante, Hernán Cortés (1485-1547) accoste, avec sa flotte de dix vaisseaux, à Cozumel, île proche de la côte est du Yucatán, en plein pays maya.

Son expédition vient de quitter la colonie espagnole de Cuba pour faire route vers la cité de Tenochtitlán, capitale de l’Empire aztèque, encore inconnue des Européens. Pour le conquistador, Cozumel n’est qu’une halte pour éclaircir un mystère : deux ans auparavant, en 1517, Hernández de Córdoba (v. 1467-1517), le premier Espagnol à débarquer officiellement dans la région, avait été témoin, avant de mourir, de faits troublants.

A deux reprises, lui et ses hommes entendirent des autochtones crier en espagnol «Castilan ! Castilan !», signalant ainsi la présence d’hispaniques au coeur de ce territoire pourtant inexploré à l’époque. L’information, relayée jusqu’à Cuba, avait suscité l’étonnement des autorités coloniales qui souhaitaient connaître le fin mot de l’histoire. Et c’est Cortés qui se chargea de cette mission.

Arrivé sur les lieux, celui-ci interroge les caciques, les chefs mayas de l’île. «Ils furent unanimes à répondre qu’ils avaient connu des Espagnols, ils en donnaient le signalement et assuraient qu’à deux journées de distance, dans l’intérieur du pays, des Indiens les détenaient comme esclaves», relate Bernal Díaz del Castillo (1492-1584), le chroniqueur de l’expédition, dans son Histoire véridique de la conquête de la Nouvelle-Espagne(1568).

C’était donc vrai ! Le conquistador fait envoyer des messagers indiens. Dans leurs mains, il y glisse de la verroterie, afin que les prisonniers puissent racheter leur liberté, et des lettres, les enjoignant à le rejoindre d’ici à une semaine sur la côte. Les jours passent…

Et, au moment où les 500 hommes du conquistador s’apprêtent à poursuivre leur expédition en direction des Aztèques, l’incroyable se produit. Un grand canoe accoste. A l’intérieur, plusieurs Mayas, cheveux tressés, vêtus de pagnes, armés d’arcs et de flèches. A la vue des soldats ibériques, tous retournent effrayés vers leur embarcation, sauf un, qui hurle en castillan : «Messieurs, êtes-vous chrétiens ?», avant de fondre en larmes et de s’écrier : «Dieu et sainte Marie de Séville !» Cortés se rapproche de lui, désormais certain que cet homme, ressemblant trait pour trait à un autochtone, est en réalité l’un des leurs.

Comment un sujet du roi des Espagnes Charles Quint (1500-1558) pouvait-il se trouver parmi les Mayas du Yucatán et s’être fondu à ce point parmi eux, alors que les Espagnols commencent à peine à poser les pieds dans cette région ? s’interroge t-il. L’homme, qui s’appelle Gerónimo de Aguilar (1489-1531), lui révèle alors qu’il n’est pas tout seul. Un autre compatriote, du nom de Gonzalo Guerrero (1470-1536), se trouve aussi parmi les Mayas. Après avoir négocié sa propre libération, Aguilar était allé le trouver avec la lettre de Cortés, mais Guerrero n’avait pas souhaité le suivre. La raison ? Sa femme, une Maya, et ses trois enfants. Guerrero était effectivement devenu un Maya à part entière ! Son refus de rencontrer Cortés scellera l’incroyable destin croisé des deux hommes, qui finiront par choisir deux camps opposés après avoir été unis dans le malheur.

Sur le territoire maya, ils sont les seuls rescapés d’un massacre

Dix ans auparavant, les deux compères ne se connaissaient pas. Gerónimo, né entre Séville et Cordoue, est diacre. Gonzalo, presque vingt ans plus jeune, est un simple marin originaire de Palos, le port d’où partit un certain Christophe Colomb en 1492. Autour de 1509, comme beaucoup de leurs compatriotes, ils embarquent pour le Nouveau Monde, entraînés par le formidable élan d’exploration qui anime alors le royaume d’Espagne.

En quête d’une vie meilleure et avec l’objectif d’y répandre la foi chrétienne pour Gerónimo. Par soif d’aventure, de fortune et de gloire pour Gonzalo.

Tous deux se retrouvent alors à Santa Maria la Antigua del Darién, première colonie fondée par les Espagnols sur le continent sud-américain, à la frontière entre la Colombie et le Panama. A sa tête, le conquistador Vasco Núñez de Balboa, surnommé par ses pairs le «premier caudillo du Nouveau Monde». En 1512, ce dernier envoie une caravelle vers l’île de Saint-Domingue, autre colonie espagnole, pour demander du renfort en hommes, armes et provisions. Et livrer 20 000 ducats d’or au gouverneur de l’île Diego Colomb, l’un des fils de Christophe. A son bord, Gonzalo Guerrero, devenu membre d’équipage, et Gerónimo de Aguilar, qui souhaite, lui, fuir l’existence pénible de Darién.

Mais la mer des Caraïbes est dangereuse… Au sud de la Jamaïque, le navire, pris dans une tempête, heurte un récif et vingt passagers sautent dans une chaloupe, sans eau ni nourriture. Après plus de dix jours de dérive, l’esquif s’échoue sur la côte est du Yucatán. Les survivants, capturés par deux tribus mayas, sont réduits en esclavage, puis massacrés, sauf deux d’entre eux : Aguilar et Guerrero, qui vont désormais vivre au sein de cette civilisation qu’aucun Occidental n’avait jusqu’alors approchée.

Durant ses années de captivité, Gerónimo de Aguilar adopte une stratégie d’auto-protection, se pliant aux ordres et observant une discipline stricte, comme le comptage précis des jours. «Pendant les trois premières années, il était forcé à des lourds travaux, porter du bois et de l’eau sur son dos, charrier du poisson de la mer vers l’intérieur des terres sur d’étroites voies pavées», écrit l’auteur canadien Robert Calder dans son livre A Hero For The Americas (Paperback, 2017). Selon le chroniqueur Francisco Cervantès de Salazar (1521-1575), il s’adonnait aux tâches «avec un visage joyeux, de manière à s’assurer la vie, qu’il aimait tant». Ainsi, Aguilar gagne le coeur et la bienveillance de son maître, quand il ne suscite pas l’admiration par sa chasteté, qu’il s’efforce de maintenir même lorsque des femmes lui sont offertes ! En homme d’église convaincu, il ne quitte jamais le vieux bréviaire enluminé qu’il a réussi à conserver, priant Dieu qu’il puisse un jour retrouver les siens.

L’un est resté esclave, l’autre a endossé la tenue de dignitaire maya

Pour Gonzalo Guerrero, la situation est très différente. Vendu au cacique d’une autre tribu, plus au sud du Yucatán, dans la région de Chactemal, il réussit à s’affranchir de son statut d’esclave, et embrasse corps et âme le mode de vie de ses hôtes. L’Andalou devient un personnage de haut rang, conseiller du cacique de la tribu dont il a épousé la fille.

Un mariage qui passe pour être la première union entre un Européen et une Indienne. Ils auront trois fils, sans doute les premiers métis à l’origine de la majorité de la population actuelle du Mexique.

«Sa figure était tatouée, ses oreilles percées et la lèvre inférieure également », écrit Bernal Díaz de Castillo. Comment Guerrero était-il passé d’un statut de prisonnier à celui de dignitaire maya ? «Il possédait deux choses qui le rendaient particulièrement précieux pour les Mayas : l’expérience de la mer et de la navigation, et la connaissance de ces étranges hommes barbus qui commençaient à pénétrer sur leurs terres», indique Robert Calder. Les Mayas du Chactemal sont en effet des navigateurs qui se livrent, le long de la côte, au commerce de coquillages, de coton, de plumes, de cacao, de sel… Et les Espagnols, les «hommes barbus», comme ils les nomment, les impressionnent. Or Guerrero sait qu’ils ne sont que de simples mortels…

Plusieurs historiens ont avancé d’autres hypothèses que celle de sa famille pour expliquer les raisons qui l’ont poussé à refuser de suivre Aguilar. Peut-être la honte. «J’ai des tatouages sur la figure et des trous aux oreilles : que diraient de moi les Espagnols en me voyant ainsi fait ?» aurait-il lancé à son ex-compagnon de galère. D’autres pensent que le marin était surtout très attaché à ce qu’il avait construit, ici, au coeur de la jungle. «On m’a fait cacique et même capitaine pour les temps de guerre», aurait-il ajouté. On peut comprendre que Guerrero n’ait pas eu envie de revenir dans cette Espagne où il est né pauvre.

Aguilar permet aux conquistadors d’anéantir plus vite l’Empire aztèque

Après cet ultime échange, les deux naufragés ne se reverront plus. Il n’existe aucun récit précis sur la vie quotidienne de Gonzalo Guerrero après le départ de Cortés du Yucatán. Devenu chef militaire, ce dernier aurait servi de stratège lors la lutte des Mayas contre les conquistadors. En 1527, c’est lui qui aurait organisé l’efficace guérilla contre les troupes de Francisco de Montejo (1479-1548). Lequel aurait, comme Cortés auparavant, tenté d’envoyer une lettre au Castillan de la jungle pour le convaincre de le rejoindre. Sans succès. En 1532, c’est à nouveau l’ex-naufragé qui aurait chassé de la région de Chactemal le conquérant Alonso de Avila (1486-1542). Finalement, en 1536, les Espagnols remportèrent une victoire décisive sur un grand chef autochtone. Capturé, ce dernier indiqua que parmi les morts de son camp figurait un Maya d’adoption, un Espagnol, tué par un tir d’arquebuse…

Il a fallu vingt ans aux hispaniques pour conquérir le Yucatán, alors que deux années ont été nécessaires à Cortés pour anéantir l’Empire aztèque. 

Et Gerónimo de Aguilar a joué un rôle prépondérant dans cette chute rapide. Chez les Mayas, l’homme de foi avait appris à maîtriser leur langue. Un atout précieux pour Cortés qui lui avait demandé, après leur rencontre, de rejoindre son expédition maritime vers Tenochtitlán en tant que traducteur. Il accepta. Pour le chef conquistador, qui souhaitait mêler diplomatie, intimidation et conversion au catholicisme, un tel homme était un don du ciel, tout comme le «cadeau» offert par les Mayas : une femme, appelée Malinalli («la Malinche»), qui parlait aussi bien le nahuatl, la langue des Aztèques, que le maya.

Aguilar et la jeune femme formèrent un duo d’interprètes efficace dans la conquête du Mexique : les Aztèques s’adressaient en nahuatl à la Malinche, qui traduisait en maya pour Aguilar, lequel traduisait à son tour en castillan pour Cortés.

Une mécanique qui a permis au conquérant de soumettre rapidement l’empereur Moctezuma II dès 1519. Après sa victoire sur les Aztèques en 1521, Cortés remercia Aguilar – la Malinche, devenue la maîtresse du conquistador, maîtrisait désormais le castillan – en lui accordant des terres au nord-est de la Nouvelle-Mexico. Il y mourut en 1531, entouré de ses esclaves qu’il traitait du mieux qu’il le pouvait. Comme leurs maîtres mayas l’avaient fait pour lui et Gonzalo Guerrero, vingt ans auparavant.

Source – www.geo.fr

 

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