Le 15 mars dernier, Mexico a connu sa pire crise environnementale des dix dernières années. Un brouillard gris contenant des polluants atmosphériques nocifs s’est déployé sur toute la zone urbaine deux jours durant. Les véhicules ont été interdits de rouler et les habitants invités à rester chez eux.
La solution proposée pour lutter contre cette pollution atmosphérique a été rendue publique deux semaines après cet épisode, attirant l’attention des médias du monde entier. Martín Gutiérrez, le patron de l’agence pour l’environnement de Mexico, a annoncé que les propriétaires de voiture devraient prendre part à un programme appelé Hoy No Circula(Un jour sans voiture), une initiative qui avait vu le jour en 1989. Le programme prévoyait que les véhicules particuliers, un jour par semaine et un samedi par mois, resteraient au garage pour la période allant du 5 avril au 30 juin.
À l’époque, le gouvernement avait abandonné ce programme à cause de son inefficacité ; parmi les habitants, le retour de Hoy No Circula fut très impopulaire.
Mais la plus grande difficulté réside dans le fait que des initiatives comme la circulation alternée sont détournées et que les intérêts particuliers l’emportent.
Des résultats contre-productifs
Située dans le creux d’une vallée, la ville de Mexico occupe une situation géographique qui la rend vulnérable. Entourée de montagnes, la cité la plus peuplée d’Amérique du Nord n’est pas armée contre la pollution de l’air. En fait, ces mêmes montagnes forment une enceinte qui favorise l’accumulation de polluants atmosphériques à des niveaux dangereux. Et le fait que dans cette agglomération de 21 millions d’âmes, 5,5 millions de voitures sillonnent quotidiennement la ville, n’arrange rien.
La première fois qu’il est entré en vigueur, le programme Hoy No Circula prévoyait que chaque véhicule reste au garage une fois par semaine, ce jour étant défini en fonction du numéro d’immatriculation de la voiture.
Le programme ne tarda pas à avoir des effets contre-productifs. Car pour contourner la circulations alternée, les habitants firent en sorte d’avoir plusieurs véhicules avec des plaques d’immatriculation leur permettant de rouler non stop. Ces voitures étaient la plupart du temps vieilles et très polluantes, ne contribuant qu’à aggraver la situation.
Le programme fut modifié en 1997 dans l’optique de booster l’industrie automobile mexicaine. À compter de cette date, les véhicules datant des 8 années précédentes se trouvaient exemptés tant qu’ils pouvaient passer deux fois par an un test vérifiant leurs émissions.
Vingt ans plus tard, en mars 2016, la Dirección de Monitoreo Atmosférico de Mexico indiqua que la pollution à l’ozone avait atteint des niveaux alarmants ; les autorités devaient à nouveau prendre des mesures pour tenter de limiter les dégâts environnementaux.
L’adoption de Hoy No Circula ce printemps a cherché à inciter les habitants à utiliser les transports en commun comme une alternative aux véhicules particuliers. Mais quiconque a passé un peu de temps à Mexico, sait que cela n’a rien d’une solution viable ni fiable.
Selon le World Economic Forum, Mexico se place en effet en deuxième position des villes d’Amérique du Sud possédant un système de transports dangereux pour les femmes. Pour que les habitants puissent envisager les transports collectifs comme une authentique option, encore faut-il assurer leur sécurité.
Depuis la remise en route de Hoy No Circula, des travaux de différents chercheurs de l’Universidad Nacional Autónoma de México et de Greenpeace ont montré que le contrôle de la mobilité des véhicules particuliers n’avait que peu d’impact positif en matière environnementale. De la même façon qu’en 1989, il était plus avantageuxpour les usagers de posséder plusieurs voitures, généralement très polluantes, pour contourner l’interdiction de circuler.
En outre, les personnes qui avaient cassé leur tirelire pour acheter des voitures respectueuses de l’environnement subissaient les mêmes restrictions que les propriétaires de voitures polluantes.
Les effets de la corruption sur l’environnement
Jusqu’à aujourd’hui, les discussions ont été nombreuses concernant les actions possibles à mener pour lutter contre la pollution atmosphérique à Mexico. Mais aucune d’elles ne risque d’aboutir si le problème de la corruption n’est pas clairement posé.
Ces pratiques illicites sapent les efforts environnementaux et, comme dans le cas de la pollution automobile, elles prennent plusieurs formes :
- Détournement de l’application des règlements : une des causes principales de la hausse de la pollution est imputable aux vieux véhicules. Or il est courant que les propriétaires de ces automobiles polluantes graissent la patte des gérants des centres où s’effectuent les contrôles pour obtenir des certificats d’émissions leur permettant de circuler.
- Les compagnies privées de bus : les gérants de ces compagnies qui contribuent pour une grande part aux émissions polluantes ont gagné un poids politique considérable. Ces véhicules roulent par conséquent quel que soit leur état et ne craignent pas les interdictions de circuler. Ces passe-droits sont le résultat d’accords avec les autorités. On peut citer à titre d’exemple la loi mise au point en 2009 et qui visait la régulation des bus diesel aux émissions massives ; elle a été reportée sans aucune raison valable. À moins d’un authentique contrôle et de mesures concrètes, ces compagnies pourront continuer à polluer en toute impunité.
- La réglementation routière : appliquées en décembre 2015, de nouvelles mesures visent à abaisser les limitations de vitesse pour lutter contre la pollution atmosphérique. Des chercheurs de l’UNAMont avancé que cette nouvelle réglementation conduisait à une consommation accrue d’essence ainsi qu’à un allongement des temps de trajet. Tout ceci conduit donc à une augmentation des émissions. Une société privée, Autotraffic, a été sollicitée pour installer de nouveaux radars qui devraient identifier près de 150 000 excès de vitesse par mois. Grâce à un accord avec le gouvernement, cette société devrait recevoir 46 % des revenus ainsi générés par les amendes. Ce sont donc les citoyens ordinaires qui font les frais de ces mesures, tandis que les autorités favorisent les intérêts privés.
- Détournement d’argent : les efforts pour fournir de nouvelles infrastructures de transports publics ont été laminés par des pratiques illicites. L’exemple le plus récent concerne la ligne de métro inaugurée en 2012 à Mexico et prévue pour transporter environ 400 000 usagers par jour. Deux années seulement après son lancement, la ligne a dû être fermée pour cause de défauts dangereux. Le coût total de cette construction s’élève à près de 1,5 milliard de dollars, soit 70 % de plus que le budget initialement prévu. Enrique Horcasitas, qui mena le projet, est actuellement en fuite. Il a été accusé d’avoir autorisé des versements d’argent à des entreprises pour des travaux jamais réalisés.
À la lumière des récents événements, une question ne manquera pas de s’imposer aux habitants et aux autorités : la circulation alternée est-elle suffisante pour lutter contre la pollution atmosphérique ? Il semble que non. Pour y parvenir, les politiques publiques doivent impérativement s’accompagner de mesures visant à éliminer la corruption.
This article was originally published in English