Dossier – « Le Mexique est le maillon faible dans la guerre que Trump mene avec le monde ! »

Que peut faire le pays pour riposter aux diktats du nouveau président américain? Pas grand-chose pour le moment, faute d’avoir anticipé l’élection de Trump. Sauf s’il profite de cette grave crise diplomatique pour s’affranchir un peu de son écrasant voisin. Un dossier d’Anne Denis pour Slatestreet.fr.

Mexico le comprend désormais –comme d’ailleurs le reste du monde– le président américain nouvellement investi ressemble comme deux gouttes d’eau au candidat: protectionniste, isolationniste et brutal.

Donald Trump enchaîne depuis une semaine les décrets visant à mettre en musique ses promesses de campagne. Après avoir acté le retrait des Etats-Unis du traité transpacifique (TPP), il a annoncé sa volonté de renégocier l’Alena, l’accord de libre échange qui lie les Etats-Unis au Mexique et au Canada depuis 1994. Il a aussi signé une série de décrets anti-immigration ciblant notamment le DACA (programme créé par Obama en 2012 qui a permis à plus de 750.000 clandestins mineurs d’obtenir des titres de séjour) et visant également les 300 villes «sanctuaires» qui refusent de dénoncer les clandestins aux autorités fédérales.

Il a surtout confirmé la construction prochaine du mur frontalier, mantra de sa campagne, et répété une fois de plus qu’il le ferait payer par le Mexique. Non sans prévenir que si Mexico continuait de s’y refuser, la rencontre prévue le 31 janvier avec son homologue mexicain n’avait plus lieu d’être. Le président Enrique Peña Nieto, resté très calme depuis l’élection de Trump, a donc annulé son déplacement. Un sursaut de dignité massivement salué dans son pays.

Même si, hier, un entretien téléphonique entre les deux chefs d’Etat a un peu atténué les tensions, la crise diplomatique, voire la quasi guerre froide commerciale qui se profile, laisse le Mexique assez démuni dans le rapport de forces qui s’engage.

Servir d’exemple

Pour Jean-Jaques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS et spécialiste de la zone, le Mexique est le maillon faible dans la guerre commerciale que Trump entend mener avec le reste du monde:

«La Chine est un plus gros morceau, face auquel les moyens de rétorsions sont moins évidents. Trump a donc choisi l’adversaire le moins en mesure de riposter. Il est filmé en train de signer les décrets ; il se fera peut-être filmer devant les premiers travaux du mur : cette mise en scène médiatique, destinée à montrer qu’il est fidèle à ses engagements, sert aussi d’avertissement à l’intention des autres pays».

Maillon faible, le Mexique l’est à plusieurs titres: d’abord parce que la moitié des 11 millions de clandestins vivant aux Etats-Unis sont d’origine mexicaine. Ensuite parce que sa main-d’oeuvre très bon marché, désormais quasiment plus compétitive que celle de la Chine, est désignée par Donald Trump comme le facteur essentiel des délocalisations et des suppressions d’emplois aux Etats-Unis. Depuis 22 ans, les deux pays ont tissé des liens industriels et commerciaux très étroits avec une explosion du commerce dans la zone, comme l’expliquait récemment à Slate l’ambassadeur du Mexique en France Juan Manuel Gómez Robledo.

Mais dans le même temps, le déficit commercial américain s’est creusé autour de 60 milliards de dollars par an, notamment dans l’automobile. D’où la menace de Trump de taxer à 35% les importations des constructeurs installés au Mexique et sa décision de renégocier l’Alena, voire de le quitter faute d’accord. Dans le bras de fer qui s’annonce, le Mexique, dont les Etats-Unis représentent plus de 80% des exportations et dont plus de la moitié des IDE sont américains, n’est guère en position de force. Une mise à bas de l’Alena risquerait de faire plonger durablement son PIB.

«Si loin de Dieu, si près des Etats-Unis»

Que peut faire Enrique Peña Nieto? Il ne peut empêcher la construction du mur et n’en a pas l’intention. D’ailleurs, environ 1000 km de barrière discontinue ont déjà été construits depuis 2006, à l’initiative de George W. Bush. Restent donc un peu plus de 2000 km à ériger pour un coût dont l’évaluation varie de 8 milliards de dollars (administration Trump) à plus de 20 milliards (avis extérieurs). Les premiers crédits pour lancer les travaux pourraient être rapidement débloqués par le Congrès. Donald Trump peut-il contraindre Mexico à rembourser les frais? Il a déjà évoqué une taxation des envois d’argent à leurs familles des Mexicains vivant aux Etats-Unis. Cette semaine, il parlait d’une taxe de 20% sur les importations mexicaines, une fois réglé le cas de l’Alena (ce qui devrait prendre un à deux ans).

Ayant tout misé sur l’élection d’Hillary Clinton –aveuglement certes général– Mexico n’a pour l’instant pas le moindre plan B pour empêcher cela, déplore Jean-Jacques Kourliandsky, assez pessimiste pour citer l’ancien dictateur Porfirio Diaz: «Pauvre Mexique, si loin de Dieu, si près des Etats-Unis».

Bon, cette phrase aurait été prononcée il y a un siècle, quand le pays sortait d’une période au cours de laquelle les Etats-Unis l’ont dépossédé de la moitié de son territoire. Aujourd’hui, il s’agit d’une puissance industrielle qui pourrait très bien, en représailles, taxer elle aussi les importations américaines. Une liste de produits serait d’ailleurs à l’étude. Il est clair cependant qu’à ce jeu-là, le Mexique sera perdant. Le pays peut aussi, comme l’a évoqué l’ancien président Felipe Calderon, cesser de collaborer avec son voisin dans la lutte contre les cartels de la drogue. Mais c’est se priver de l’aide américaine (2,5 milliards de dollars votés en 2008 par le Congrès) pour la lutte contre le crime organisé. «Le pays doit aussi être très prudent vis à vis de ses millions de ressortissants présents aux Etats-Unis, qui peuvent faire plus ou moins figure d’otages», ajoute le chercheur. Le gouvernement mexicain y est sensible depuis toujours. Ces jours-ci, il diffuse d’ailleurs des spots télévisés proposant informations et aide juridique aux familles dont un membre a émigré.

Un marché de 120 millions d’habitants

Certes, une riposte pourrait venir d’une action du lobby des industriels américains présents au Mexique. Pour Philippe Garcia, directeur du bureau de Business France au Mexique, «les deux économies sont tellement imbriquées que cette impasse, si elle se prolonge, va porter également préjudice aux entreprises américaines ». A quelques rares exceptions près, tous les constructeurs automobiles mondiaux sont présents au Mexique (3,4 millions de véhicules produits, dont 2 millions destinés au marché américain). «Les taxes de Trump vont certes les atteindre, mais elles pénaliseront aussi les centaines d’équipementiers américains, notamment des PME, qui travaillent pour ces constructeurs et, au final, le consommateur américain».

D’autant, ajoute-t-il, décider d’un investissement, ou y renoncer, prend beaucoup de temps dans cette industrie. Sous entendu, le renoncement de Ford à son investissement d’1,6 milliard est selon lui bien antérieur aux pressions exercées par Trump.

Ainsi, souligne-t-il , BMW ouvrira bien en 2019 (malgré les menaces du président américain) une usine mexicaine «dont le sourcing a été initié en 2008» et Nissan compte toujours porter à 1 million de voitures par an sa production locale. Mais, au-delà de l’automobile et des usines d’assemblage dédiées au seul marché voisin, le Mexique s’est aussi considérablement diversifié dans l’agroalimentaire, l’aéronautique ou les services. «C’est un pays de 120 millions d’habitants, dont 25 millions gagnent aujourd’hui plus de 2.500 dollars par mois et consomment beaucoup, rappelle Philippe Garcia. Je pense que, paradoxalement, les industriels européens, et notamment français, doivent saisir ce moment pour s’intéresser enfin au Mexique pour lui-même, et non plus comme un marché captif des Etats-Unis». Il souligne les réformes engagées par Enrique Peña Nieto, la croissance mexicaine de 2, 8 % par an en moyenne depuis 20 ans, les nombreux accords de libre échange que le pays a noué, notamment avec l’Union européenne.

Business France compte d’ailleurs exploiter ce «momentum» lors du forum des affaires qu’il organise en avril à Mexico, qui devrait réunir une centaine d’investisseurs et exportateurs français. Il est clair que la deuxième économie d’Amérique latine va tout faire pour développer ses liens commerciaux tous azimuts, en Amérique latine, en Europe et en Asie. Une occasion unique, peut-être, de s’affranchir enfin de l’Oncle Sam. Même si la Chine en sera sans doute le principal bénéficiaire.

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