Dossier – Les victimes invisibles de la violence au Mexique !

Pas moins de 287 000 personnes ont dû migrer contre leur gré à l’intérieur du pays. Le gouvernement mexicain manque de données sur ces migrations internes, ce que la Commission nationale des droits de l’homme a critiqué en mai, dénonçant un manque d’intérêt des autorités pour ce sujet.

L’écran d’une télévision brisé par une balle, une marmite abandonnée sur une gazinière, une chemise laissée sur un hamac. Le temps semble suspendu dans les maisons de Quetzalcoatlan depuis cette matinée fatidique où des hommes armés ont fait irruption dans ce hameau mexicain avant de tirer.

C’était le 6 janvier dernier, dans ce village isolé des montagnes de l’État du Guerrero, où sont cultivés le pavot à opium et la marijuana. Ce jour-là, des hommes armés sont arrivés et, sans dire un mot, « ont tué six personnes », raconte à l’AFP Salomon Lara, un paysan de 61 ans qui a décidé de revenir à son domicile malgré la perte de son fils de 23 ans et de deux frères. Les 80 habitants de Quetzalcoatlan se sont alors enfuis pour aller trouver refuge à Zitlala, une commune proche, laissant derrière eux un village fantôme.

D’ordinaire réservée aux pays en guerre, cette tragédie est vécue par plusieurs dizaines de milliers de Mexicains, obligés à migrer au sein de leur propre pays pour échapper à la violence.

Le gouvernement mexicain manque de données sur ces migrations internes, ce que la Commission nationale des droits de l’homme a critiqué en mai, dénonçant un manque d’intérêt des autorités pour ce sujet. Cette commission a recensé près de 1800 cas, mais estime que le chiffre réel pourrait dépasser les 35 000.

Selon le centre de surveillance des déplacements internes, basé à Genève, 287 000 Mexicains ont fui des violences, dont 6000 pour la seule année 2015.

Sous l’assaut des gangs criminels

Dans le modeste abri que les autorités de Zitlala ont mis à disposition des déplacés de Quetzalcoatlan sont rassemblées 11 personnes qui dorment sur des matelas posés sur le sol. Elles sont surveillées en permanence par des policiers qui les empêchent de sortir seules.

Craignant des représailles, elles n’osent pas parler à l’AFP. « Je ne veux pas parler de cela, s’il vous plaît. J’ai trop peur », confie Maria Isabel, qui a assisté au meurtre de son époux devant sa maison.

Le reste des habitants, lassés d’être enfermés, ou malades pour certains, ont choisi de s’en aller et parfois de retourner chez eux. Dans leur hameau où 33 des 47 demeures restent vides, des autels ont été dressés dans les maisons qu’habitaient les personnes assassinées. Chaque soir on y allume des bougies en leur mémoire.

Dans cette région, les gangs criminels recrutent les habitants, les rackettent ou encore les obligent à cultiver le pavot à opium, explique Manuel Olivares, d’une ONG locale de défense des droits de l’Homme.

Les habitants de Quetzalcoatlan pensent que leurs agresseurs venaient d’un village voisin, réputé dangereux. Mais personne ne connaît le mobile exact des tueurs. « Ils ont dit qu’ils allaient revenir pour nous tuer. Nous avons peur », raconte Lara.

Face à ces violences, les promesses du gouvernement pour améliorer les infrastructures et la sécurité des habitants n’ont toujours pas été suivies d’effet.

« Je ne veux pas y retourner. Jamais. »

Lara voudrait mettre en place une milice d’autodéfense comme l’ont fait en 2013 les habitants d’Ayutla, où une centaine de déplacés ont trouvé refuge. Ces réfugiés proviennent de Coyuca de Catalan, une localité qui avait alors été attaquée par des criminels pour forcer les habitants à accepter l’exploitation illégale de la forêt et la culture de la drogue.

Edith, 25 ans, une jeune femme enceinte de son deuxième enfant, vivait dans ce hameau où elle a assisté à la mort de son père. Dans sa nouvelle maison en terre sèche et en bois, elle élève des canards et des cochons. Elle appellera son futur enfant Reinaldo, promet-elle, du nom de son cousin, lui aussi assassiné.

Quand l’attaque s’est produite, « ma belle-soeur a couru avec son fils de 7 ans, Reinaldo. Ils ont fait agenouiller l’enfant et ils lui ont dit : “Si tu sais prier, prie, parce que tu vas mourir ” avant de le tuer d’une balle dans la tête devant sa mère », elle aussi abattue ensuite, raconte-t-elle d’une voix blanche tout en préparant le repas dans un mortier en pierre.

Plus loin, Elvira Valerio, dont le mari porte les cicatrices des trois balles qu’il a reçues lors de l’attaque, regarde avec nostalgie des photos jaunies de sa vie d’avant. « Je ne veux pas y retourner. Jamais », dit-elle, devant une image de la vierge de Guadalupe.

« Dans mes rêves, je marche loin, je vois les animaux que j’élevais, ma maison qui me manque. Je vois mon beau-frère décédé qui nous dit de le rejoindre, et je me réveille alors en sursaut, effrayée. »

Source – Yemeli Ortega – Agence France-Presse à Quetzalcoatlan de las Palmas

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