A l’extrême sud-ouest du pays, le Soconusco reste une région à l’écart des circuits touristiques habituels. Une équipe du Grand Journal s’est rendue sur place et vous propose un aperçu de ces merveilles: les fincas de café. (De nos archives)
Vers 1866, le dirigeant mexicain Porfirio Díaz voit dans le développement de la culture du café l’opportunité de conférer une utilité économique à la région montagneuse du Soconusco et d’attirer les capitaux étrangers. Il met en place les infrastructures nécessaires pour faire venir des colons européens séduits par les perspectives d’enrichissement. Des familles irlandaises, suisses, et principalement allemandes viendront alors prendre la tête des “fincas”, ces exploitations de café perchées dans une zone fertile et encore totalement vierge.
Ce seront les temps héroïques: dans un milieu naturel difficile d’accès et souvent hostile, ces quelques familles européennes développent leurs domaines, acheminent du matériel lourd vers les hauteurs et -après la fin de la seconde guerre mondiale et l’explosion de la demande- se retrouvent à régner sur un véritable empire du café, “l’or noir” du Chiapas…
Toute une région “entre les mains de Dieu… et de la bourse!”
Le Chiapas reste l’une des principales régions productrices de café du Mexique. Durement touchée par les phénomènes climatiques, la concurrence mondiale et les crises successives -dont la dramatique baisse des prix du grain vert en 1994 (“la pire crise des cents dernières années” d’après de nombreux dirigeants latino-américains)- c’est toute l’économie de certaines zones qui a été menacée de disparition. C’est pourtant ici qu’est produit l’un des meilleurs café d’altitude du monde.
Rassemblant 10 fincas dont 5 proposent des services touristiques réguliers, le projet de la Route du café est né de la nécessité de sauver les emplois, d’éviter une émigration massive des producteurs et cueilleurs de café vers les État-Unis; mais aussi de préserver l’identité culturelle centenaire des fermes de café… Nous voici partis pour la visite de deux des plus emblématiques d’entre elles: Argovia et Hamburgo.
Argovia, l’élégante !
Le point de rendez-vous établi avec Andréa Medina Crémieux, la charmante et compétente responsable de l’accueil des touristes de la Finca Argovia, est fixé à l’ hôtel “Plaza Inn” dans le centre de la ville de Tapachula.
A l’heure prévue, le véhicule estampillé “Finca Argovia” s’arrête devant l’hôtel. Nous voilà partis pour notre voyage dans le temps, la route du café nous attend!
Pour accéder à la Finca Argovia, à partir de Tapachula nous prenons une route toute en courbes direction la municipalité de “Nueva Alemania” pendant une cinquantaine de kilomètres avant de nous engager sur un large chemin qui grimpe et nous mène jusqu’à l’entrée de la Finca.
D’abord sur la gauche du chemin les vastes dortoirs hébergeant les ouvriers – Guatémaltèques pour la plupart – et contiguë, l’usine datant de la fin du 19ème siècle, qui gère tout le processus du café depuis son arrivée dans des camions par sacs de toile de jute de 50 kilos à l’entrepôt accueillant le café vert, prêt a être acheminé vers le port de Veracruz pour traverser l’atlantique. Le café produit au Chiapas est principalement consommé en Europe.
Une diversification florale
La Finca Argovia a du se diversifier lorsque les cours du café ont chuté et qu’un terrible ouragan a dévasté les récoltes. L’ingénieur Bruno Giesemann E., actuel patron et descendant direct des premiers pionniers allemands de la finca – la quatrième génération – prend alors la décision de mettre en place des infrastructures pour la culture des fleurs! C’est aujourd’hui le premier revenu grâce auquel la possibilité de cultiver le café en maintenant les traditions reste viable.Heliconia psittacorum
Nous nous rendons dans les serres installées en contrebas des bâtiments principaux. Les Heliconia et les Anthurium -principales variétés cultivées- s’y épanouissent sous leur différentes formes et couleurs… Des ouvriers s’activent à leur conditionnement: il faut couper les tiges, nettoyer les pétales et les apprêter. Elles seront acheminées sur Mexico DF pour orner les salons de citadins comblés par cette explosion de couleurs naturelles! Andréa nous confirme la bonne santé de ce négoce, spécialement à ces dates proches des fêtes de fin d’année.
Des infrastructures hôtelières durables
La Finca Argovia vise l’autonomie: elle produit son électricité -grâce à l’énergie hydraulique- les résidus de café servent de compost et ses eaux usées sont entièrement épurées avant de rejoindre la rivière! Un écotourisme qui fonctionne parfaitement avec des infrastructures d’accueil magnifiques, comprenant des cabañas qui proposent des terrasses avec un vue saisissante sur un paysage tropical et montagnard luxuriant; les espèces protégées s’en donnent à cœur joie et improvisent d’incessantes joutes sonores. (voir l’album photo)
L’heure du repas nous amène au restaurant Tierra de Café, sur la vaste terrasse, où le chef nous propose sa vision d’une cuisine métissée élaborée à base de traditions culinaires mexicaines et un zeste de cuisine Française, italienne ou Espagnole. Un mélange fin et exquis proposé à des prix abordables. L’ingénieur Bruno Giesemann E, l’hôte des lieux, nous y rejoint. C’est parti pour trois heures d’une discussion passionnante sur l’histoire de la finca et de la région.
Après une bonne nuit au milieu de cette nature généreuse, nous avons rendez vous avec Bruno pour une visite exhaustive et passionnante du site! Décidément cet homme communique sa passion avec une telle ferveur qu’il est absolument impossible de ne pas être admiratif du travail accompli. (voir la vidéo – Activez les sous titres en français en cliquant sur le menu de la petite flèche dans le cadre)
Mais nous devons déjà quitter ce lieu enchanteur pour rejoindre notre prochaine étape où, bien que faisant partie d’un univers commun, un tout autre scénario nous sera proposé…
Hamburgo, la fringante !
Accéder à la Finca Hamburgo est une véritable ascension de 15 kilomètres à travers une foret tropicale et de pins! La route “défoncée” fait tanguer la jeep qui nous mène à un train de sénateur vers le sommet à plus de 1 o00 mètres d’altitude. A vingt kilomètres heure de moyenne, il nous faudra compter pas moins de trois quarts d’heure pour enfin rejoindre les lieux.
Mais une fois arrivés, la beauté du panorama qui s’offre à nous fera bien vite oublier cette péripétie… La vue à 180 degrés est magnifique: là, en face, en contrebas, la ville de Huixtla et dans son prolongement, lorsque le temps est assez clair, le pacifique s’exhibe. Sur la gauche Tapachula s’étend sans retenue… magnifique !
Encore une fois les services d’hébergement et de restauration proposés sont à la hauteur des attentes du plus exigeant des touristes… Des petites maisons tout confort juchées sur une colline permettent d’admirer le paysage stupéfiant, le couché de soleil en particulier réserve un spectacle impressionnant. Le restaurant nous permet de savourer des mets succulents à des prix tout à fait convenables. (voir l’album photo)
Les dieux du café
Avec ses 35 hectares et sa monoculture du café, la finca Hamburgo est beaucoup plus vaste qu’Argovia! Sa production annuelle est entièrement pré-achetée en Allemagne et aux États-Unis. Pas moins de huit cents ouvriers y vivent à l’année et pendant la saison de la récolte, ce sont mille cueilleurs supplémentaires (appelés “tapiscadores“), en grande partie venus du Guatemala voisin, qui viennent grossir les rangs ! Un véritable microcosme sociétal géré par le prolixe ingénieur Ulises Hidalgo Hernández qui va nous faire découvrir la vie de “sa” finca !
Car décidément les dieux du café sont avec nous et nous arrivons café usine juste au bon moment: devant l’entrée de l’usine l’agitation va crescendo et des familles d’ouvriers de plus en plus nombreuse se pressent. Nous allons bientôt comprendre pourquoi! Les premiers camions arrivent, chargés de sacs remplis de café tout juste récolté. Commence alors un ballet parfaitement rodé qui va durer deux ou trois heures. L’incessant va et vient des hommes, chargés de sacs pouvant atteindre cent kilos, offre un festival de couleurs. Ils acheminent le café vers le centre de l’usine et le déverse d’une prompte rotation du corps dans un réceptacle… le traitement du café peut commencer.
Première étape, la séparation de la peau et de la pulpe du café par un ingénieux système qui provoque des heurts incessants du fruit et libère la pulpe. Celle-ci est dirigée à renfort de grandes eaux et d’un lavage minutieux jusqu’aux cuves de macérations. Vingt quatre heures plus tard, les grains seront acheminés vers leur nouvelle destination: la cour intérieur de l’usine, exposée plein soleil. Après avoir été trié naturellement par un système hydraulique intransigeant qui laisse en surface les grains les moins forts en caféine, le café y sera étalé afin de sécher… Quel labeur! (voir la vidéo -Activez les sous titres en français en cliquant sur le menu de la petite flèche dans le cadre)
La rencontre d’Emile Zola et d’Emiliano Zapata…
Le projet de préserver la culture du café qui s’inscrit dans l’âme de la Route du Café permet à des centaines de familles mexicaines de conserver leur activité. Il est cependant difficile de ne pas constater la grande misère des milliers de travailleurs guatémaltèques qui viennent cueillir le café pendant la saison de récoltes… Le travail des enfants, largement rependu dans les fincas, est également préoccupant. On nous assure que les travailleurs gagnent 60 pesos par jours, en moyenne… dans la réalité c’est sans doute moins.
Reste que les efforts fournis par les responsables d’Argovia et d’Hamburgo pour loger et garantir de bonnes conditions de vie à leurs travailleurs sont notables et encourageants. De plus, depuis cette année, l’état du Chiapas a lancer une opération de “credencialisacion“, visant à octroyer aux travailleurs guatémaltèque des visas de travail provisoires qui leur assure également l’accès à la sécurité sociale… Tout n’est pas rose sous le soleil du Soconusco mais on peut sentir une véritable responsabilité sociale de la part de nos cultivateurs de café.
Nous passons la nuit dans un petit chalet confortable juché sur les hauteurs de la Finca, le spectacle y est de nouveau à couper le souffle. Le lendemain, un peu groggy mais heureux de tout ces moments extraordinaires vécus, nous quittons à regret cet endroit hors du temps pour redescendre à Tapachula, terme de notre périple.
Le Soconusco nous a dévoilé une bonne partie de ses trésors. Il reste encore beaucoup de lieux à découvrir, de gens à rencontrer, de projets à partager… L’équipe du Grand Journal repartira sur le terrain pour vous faire ressentir tous ces magnifiques instants de vie !
Jean-My Cochois et Nicolas Quirion – (www.legrandjournal.com.mx)