Le Congrès mexicain a approuvé la suppression de 109 fiducies qui financent la recherche, la protection des journalistes, le sport, le cinéma indépendant, entre autres activités à but non lucratif dans le pays. Il s’agit d’une réforme budgétaire aussi technique que lourde de conséquences.
Le Fonds de réponses aux désastres naturels (FONDEN), qui était lui aussi une fiducie, n’est pas épargné par le rouleau-compresseur austéritaire du gouvernement « progressiste » d’Andrés Manuel Lopez Obrador (AMLO), et disparaîtra également d’ici au commencement de l’exercice budgétaire de 2021. Une décision qui fait suite, ironiquement, à l’arrivée de l’ouragan Delta dans la péninsule du Yucatan.
Un démantèlement de la recherche?
Les instituts de recherche, qui disposaient de 26 fiducies leur permettant de combiner leurs financements publics et privés avec leurs revenus propres, risquent de perdre des ressources critiques pour leur fonctionnement d’après plusieurs interventions médiatiques de membres de la communauté universitaire. Depuis le prestigieux Centre d’enseignement et de recherche des sciences économiques (CIDE), plusieurs chercheurs sont montés au créneau en signant des tribunes particulièrement virulentes à l’attention de ce gouvernement.
José Antonio Aguilar, en tant que professeur du département de sciences politiques du CIDE, dénonce dans les colonnes d’El Universal un impact « très grave » pour certains centres de recherche et « catastrophique » pour d’autres. « Il y a des centres qui dépendent des fiducies pour équiper leurs laboratoires et remplir leurs bibliothèques, d’autres sont moins vulnérables mais ont besoin néanmoins de ces financements pour entreprendre des projets de recherche multi-annuels ».
Du côté du gouvernement et de la majorité parlementaire du Mouvement de regénération nationale (MORENA), on se saisit de l’exemple d’un FONDEN de toute manière criblé de dettes accumulées sous la gestion corrompue du gouvernement précédent, dont l’inefficacité est aujourd’hui difficilement contestable au vu du fait que la plupart des logements affectés par le séisme du 19 septembre 2017 n’ont toujours pas été reconstruits à Mexico et dans l’Etat de Morelos.
Liquider les fiducies pour lutter contre la corruption?
« La réponse aux désastres devra dans tous les cas trouver de nouvelles sources de financement sous l’administration actuelle d’AMLO », a signalé dans une comparution au Sénat le ministre du Budget, Arturo Herrera, artisan et défenseur de cette réforme de liquidation des fiducies du gouvernement.
De fait, le patrimoine actif du Fonden ne s’élève qu’à six milliards de pesos, contre 21 milliards de pesos de passif. La fermeture du Fonden, selon M. Herrera, « ne pose pas tant la question de la répartition de ses crédits que celle la répartition de ses dettes ».
Ce discours, en revanche, ne donne aucune garantie quant à l’utilisation que fera le gouvernement des quelques 68 milliards de pesos inscrits au patrimoine actif de nombreuses autres fiducies supprimées, qui seront crédités au budget de l’Etat en 2021.
M. Herrera a promis de les utiliser aux mêmes fins que celles pour lesquelles existaient toutes ces fiducies, mais il n’existe aucun cadre juridique l’obligeant à tenir cette promesse une fois que les fonds seront transférés au panier général du budget 2021, en pleine crise sanitaire et à l’approche d’une véritable dépression économique.
De plus, selon Miguel Rubio Godoy, le directeur de l’Institut de recherche sur l’Ecologie (Inecol), de nombreux projets de recherche sont condamnés par cette réforme même dans l’hypothèse où le montant des crédits publics dont ils bénéficient resterait intact.
La nécessité pour la recherche de se projeter sur le long terme
« L’étude des floraisons sur un arbre tropical, par exemple, ne peut pas être soumis aux aléas des exercices fiscaux annuels : ce serait absurde d’être obligés de se rendre sur le terrain en décembre alors que les fleurs apparaissent en janvier », explique le chercheur dans un billet de blog sur Nexos.
L’exemple, s’il peut paraître trivial, illustre le fait qu’un système national de recherche et de développement a besoin de se projeter sur le long terme et de bénéficier de structures indépendantes permettant d’attirer et de consolider des financements divers. Et ce y compris dans le cadre des projets visant à comprendre la pandémie du Covid-19, à tester les traitements existants de la maladie et à mettre en oeuvre des projets de vaccins tels que le vaccin IBB-RP9 que développe actuellement l’Université nationale autonome du Mexique (UNAM).
« Ce qui est en jeu, ce n’est pas juste les bourses des doctorants ou les bonifications des membres du Système national de recherche (SNI). C’est la survie d’un appareil public de recherche et développement que la communauté universitaire a mis un demi-siècle à édifier, renforçant progressivement l’indépendance de ce pays », résume M. Godoy, qui craint autant le tarissement des financements publics que la rupture de la relation de confiance avec les donateurs privés, lorsque leurs contributions devront passer par le gouvernement pour parvenir ensuite à leurs bénéficiaires.